Yoshua Bengio : Les grands dérangements de l’IA

L’une des sommités mondiales en matière d’intelligence artificielle et d’apprentissage profond, le Montréalaise Yoshua Bengio, était de passage le 29 mars au Musée de la civilisation de Québec. Le professeur de l’Université de Montréal y était invité, entre autres par la Commission de l’éthique en science et technologie du Québec et l’Université Laval, pour venir prononcer une conférence sur l’épineux sujet. Lui-même au fait des considérations éthiques et sociales de son domaine d’expertise, il est conscient que bien qu’il y ait du bon dans l’IA, il y aussi beaucoup de craintes et de dangers.

Depuis quelques années, il y a des progrès fulgurants en intelligence artificielle. Ce progrès fait en sorte que notre mode de vie, que ce soit au travail ou en relation avec les autres, est en train de changer. Il y a peu de sphères de la vie qui n’ont pas ou qui ne seront pas transformées par les avancées en intelligence artificielle. « Il y a plusieurs futurs qui s’offrent à nous et c’est à nous de choisir », entame Yoshua Bengio, gardant les enjeux à l’esprit .

Il se dit conscient de l’importance d’impliquer d’autres disciplines dans la réflexion, misant sur un dialogue social entre les chercheurs en IA et ceux des autres domaines, notamment des sciences sociales. «C’est important que les gens réfléchissent », poursuit-il.

La science réalité

Auparavant, l’intelligence artificielle était fortement associée à la science-fiction. C’était alors surtout des futurologues et des philosophes qui s’y intéressaient. « Aujourd’hui, ce genre de système est déjà déployé, si vous utilisez les services de Google ou de Facebook, vous êtes déjà en train d’utiliser l’intelligence artificielle », précise M. Bengio. Il y a bien entendu d’autres cas connus, allant des autos autonomes aux logiciels de reconnaissance vocale, ce ne sont pas les exemples d’applications qui manquent.

Dans le domaine professionnel, aussi, l’IA laisse sa trace. En imagerie médicale, il y a des systèmes basés sur l’apprentissage profond qui ont appris à reconnaître la présence et l’emplacement de cellules cancéreuses. « Ces systèmes permettent de faire aussi bien, ou même un peu mieux que les meilleurs médecins, mais certainement beaucoup mieux que les médecins qui ont moins d’expérience », relate le spécialiste de l’IA. Il annonce que ce n’est qu’une question de temps avant que ce genre d’appareil soit déployé à grande échelle.

L’apprentissage versus la connaissance

Les chercheurs cherchent encore comprendre les principes de base qui permettent à quelque chose d’être considérée comme étant intelligente. L’intelligence du cerveau n’est elle-même pas encore bien comprise. M. Bengio allègue qu’il y a un dialogue constant entre ceux qui étudient l’organe et l’esprit et ceux qui développent des IA.

L’intuition, qui est souvent sous-estimée, est d’ailleurs l’une des composantes les plus complexes à intégrer dans un système. Selon le chercheur, celle-ci nécessite encore beaucoup d’apprentissage. « Au final, on s’attend à ce que les IA aient une certaine capacité à prendre les bonnes décisions et possèdent une certaine compréhension des éléments de cette décision. Avec l’apprentissage automatique, il y a l’idée que l’intelligence et l’intuition vont finir par éclore à travers l’expérience et l’environnement », explique le chercheur.

Pour permettre ce développement et ces expériences, les données deviennent très précieuses. « Avec les techniques ”moins intelligentes”, ça prend beaucoup plus de données que ce qu’un humain a besoin », souligne-t-il, donnant en exemple les systèmes de traduction automatique qui se basent sur des milliers et des milliers de phrases.

Un rêve moins lointain

« Pour l’instant les ordinateurs sont encore assez stupides et il y a encore beaucoup de progrès à faire », déclare M. Bengio. L’objectif à long terme est d’amener le niveau d’intelligence des ordinateurs à celui des humains. « Ça, c’est une quête qui existe depuis les années cinquante », ajoute-t-il.

Ce n’est que depuis une dizaine d’années que l’idée de l’apprentissage profond a vraiment été débloqué, principalement grâce aux percées de trois labos de recherche, celui de Yann Lecun à New York, celui de Geoff Hinton à Toronto et bien entendu celui de Yoshua Bengio à Montréal. « Aujourd’hui, c’est maintenant comme une vague mondiale et c’est en plein essor », affirme le professeur de l’UdeM, mentionnant au passage la visibilité et la crédibilité du Québec dans la discipline.

De l’aveu même de M. Bengio, il y a encore beaucoup d’utilisations encore inimaginables, mais que les chercheurs vont mettre sans doute mettre au point dans les années à venir. Il est au moins rassurant de voir que certains d’entre eux sont conscients des enjeux qui entourent leurs découvertes.

 

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