Le gouvernement du Québec a jeté un véritable pavé dans la mare en proposant lors de son point de presse du 11 janvier l’imposition d’une « contribution santé » visant spécifiquement les personnes non vaccinées. Si certain.e.s spécialistes saluent une mesure qui favoriserait la responsabilisation, d’autres y voient une menace au caractère public et universel du système de santé.
L’idée a été évoquée par le Premier ministre du Québec, François Legault, à l’occasion d’une conférence de presse initialement destinée à annoncer la nomination du Dr Luc Boileau à titre de successeur par intérim du Dr Horacio Arruda. Elle fait suite à l’annonce de l’imposition du passeport vaccinal à la clientèle des établissements de la Société des alcools du Québec (SAQ) et de la Société québécoise du cannabis (SQDC). Il faut rappeler que depuis la fermeture, décrétée fin décembre, de nombreux lieux publics (restaurants, bars, gymnases, théâtres, cinémas, etc.), les personnes vaccinées connaissent des restrictions globalement très similaires à celles des non-vacciné.e.s, qui sont largement plus à risque de souffrir de complications sévères dues à la COVID-19. Pour faire court, il semble que la possession du passeport vaccinal ne comporte désormais que très peu d’avantages évidents.
Bien que peu de détails soient disponibles au sujet de la mesure, le Premier ministre s’est avancé en parlant d’un montant qui serait « significatif », c’est-à-dire « largement supérieur à 50 ou 100 $ », selon les propos qu’il a tenus en conférence de presse. Pour le moment, une telle mesure est inédite en Amérique du Nord depuis le début de la pandémie. Cependant, l’Autriche et la Grèce imposent déjà des amendes récurrentes à la population non vaccinée (respectivement de 860 $ tous les trois mois et de 143 $ par mois), alors que Singapour facture l’intégralité des frais médicaux aux personnes non vaccinées hospitalisées pour la COVID-19. Le Québec s’inspirerait donc plutôt des premiers cas de figure.
« Mesure incitative » ou « privatisation déguisée » ?
Pour l’économiste et ancien ministre péquiste Daniel Paillé, un tel impôt spécial constituerait un important incitatif financier à la vaccination, qu’il compare aux taxes que paient les personnes fumeuses lorsqu’elles achètent du tabac. La proposition initiale de M. Paillé s’apparentait davantage à la politique en vigueur à Singapour : les non-vacciné.e.s hospitalisé.e.s pour la COVID-19 devraient rembourser dans leur rapport d’impôt l’intégralité des frais d’hospitalisation, qui s’élèvent, selon lui, à « 5000 $ par jour, ou 10 000 $ aux soins intensifs. » L’économiste Claude Garcia, ancien sous-ministre adjoint aux Ministère des Affaires sociales, propose plutôt que les non-vacciné.e.s paient une cotisation accrue au Fonds des services de santé ou au régime public d’assurance médicaments.
Cette proposition rappelle beaucoup, selon le journaliste économique à Radio-Canada, Gérald Fillion, deux mesures proposées par le gouvernement libéral de Jean Charest de 2010 : une « contribution santé » annuelle de 200 $ et une « franchise santé » de 25 $ par visite à l’hôpital. La contribution santé, impopulaire et jugée « inégalitaire », a été abolie en 2017, alors que la franchise santé n’avait finalement jamais été appliquée. Au-delà de la nécessité de rééquilibrer les finances publiques et d’assurer le financement du système de santé québécois, l’objectif avoué de ce « virage tarifaire » du gouvernement Charest était d’imposer le principe de « l’utilisateur-payeur », au détriment de la gratuité et de l’universalité des services publics.
C’est précisément ce qui inquiète le Dr Alain Vadeboncoeur, urgentologue à l’Institut de cardiologie de Montréal et professeur agrégé à l’Université de Montréal. Dans une longue chronique publiée dans L’Actualité, il explique qu’une telle mesure « ouvre la porte à une modulation des coûts de santé en fonction de toutes sortes d’autres facteurs de risques », ce qui introduirait le modèle des assurances privées au sein du système de santé public. Plusieurs experts en droit constitutionnel, dont les professeurs Benoît Pelletier et Louis-Philippe Lampron, doutent même de la légalité de la mesure, qui risquerait de contrevenir à la Loi canadienne sur la santé, qui prévoit l’accessibilité universelle des assuré.e.s au système de santé public, et à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité. Le Premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a d’ailleurs déclaré attendre de voir si la mesure proposée enfreindrait la Loi canadienne sur la santé avant de se prononcer sur le fond.
D’autres spécialistes doutent de l’efficacité de la mesure. C’est le cas de Roxane Borgès da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, qui rappelle qu’une proportion importante des personnes non vaccinées sont défavorisées et peu scolarisées : la mesure entraînerait un impact disproportionné chez ces dernières. Le Dr Yv Bonnier-Viger, directeur régional de la Santé publique de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, partage cette position, et croit qu’on devrait « convaincre » plutôt que « contraindre » les personnes encore hésitantes vis-à-vis la vaccination. De son côté, le Dr Amir Khadir, ancien député de Québec solidaire à l’Assemblée nationale et microbiologiste à l’hôpital Pierre-Le Gardeur, a souligné, dans un long message publié sur sa page Facebook, que la mesure n’aurait aucun impact à court terme sur le cours de la pandémie, compte tenu de la non-adaptation des vaccins actuellement offerts face au variant Omicron. Il propose plutôt au gouvernement d’améliorer la ventilation des salles de classe des écoles et de distribuer plus largement des masques N95, deux mesures qui seraient selon lui plus efficaces pour juguler la cinquième vague de la pandémie.