L’enjeu de la survie du caribou fait les manchettes depuis maintenant quelques mois au Québec. Son déclin dans la province et le pays est cependant connu depuis des décennies et des chercheur.es comme Steeve D. Côté craignent que les mesures que les gouvernements tardent à implémenter ne réussissent pas à le sauver.
Par Antoine Morin-Racine, chef de pupitre aux actualités
Steeve D. Côté travaille depuis 23 ans comme professeur titulaire au département de biologie de l’Université et se décrit comme un « écologiste comportemental de la grande faune ». Il est également directeur du programme de recherche Caribou Ungava, ses recherches portent, entre autres, sur les impacts climatiques et humains sur les hardes de caribous migrateurs du Grand Nord.
Un portrait inquiétant
Les caribous du Québec et du Labrador se déclinent en plusieurs « écotypes »[1]. Le caribou « migrateur » vit dans les toundras du Nunavik et du Labrador et dénombre autour de 170 000 individus qui, malgré leur plus grand nombre, ont vu leur nombre chuter de 80% en seulement 3 générations. M. Côté donne l’exemple du troupeau de la rivière George, possiblement le plus gros de la planète à une époque, qui a connu un déclin de 99% depuis 1993. D’environ 800 000 individus, peut-être même plus, il y a 30 ans, il n’en restait que 8000 en 2020.
Bien que les deux soient menacés, c’est cependant le caribou « forestier » qui retient une grande partie de l’attention. Deux des hardes qui le constituent, celles de Val-d’Or en Abitibi et de Charlevoix sont sous « respirateur artificiel » en enclos et ne compte à peine une cinquantaine d’individus ensemble, tandis que la harde Pipmuakan sur la Côte-Nord, estimée à 225 individus en 2020, a maintenant une « capacité d’autosuffisance […] peu probable dans les conditions actuelles ».
Le seul écotype au sud de la province est celui du caribou « montagnard » de la Gaspésie qui ne compte qu’une trentaine d’individus et est en voie de disparition.
Des causes claires
La chasse du caribou est interdite depuis plusieurs années (et des amendes salées peuvent être imposées si cette interdiction est enfreinte)[2], mais les principales causes de son déclin, le dérangement anthropique et les changements climatiques, tardent à être adressés.
« Les coupes forestières créent de l’habitat pour d’autres espèces comme le cerf de Virginie et l’orignal qui soutiennent des populations de loups qui vont faire de la prédation sur le caribou », explique Steeve D. Côté en mentionnant les causes anthropiques du déclin du caribou forestier.
Le lichen typique des vieilles forêts constitue l’une des sources d’alimentation principale du caribou forestier. Avec la continuité de l’exploitation forestière du territoire, et le danger que courent les quelques forêts encore intouchées, le type d’habitat susceptible de le faire survivre rétrécit année après année.
En ce qui concerne le caribou migrateur du Nunavik, Steeve D. Côté explique qu’en plus du dérangement anthropique, les changements climatiques l’affectent aussi grandement. « La hausse des températures a contribué à la survie des prédateurs, à la propagation des maladies, à l’instabilité de la glace ainsi qu’à la diminution des lichens », disait un récent rapport fédéral à son sujet.
Des mesures qui tardent
Pour tenter de pallier la situation critique du caribou forestier, les gouvernements promettent d’agir, mais la mise en place de ces promesses tarde à se faire voir.
En juin dernier, le gouvernement fédéral disait vouloir entamer des « démarches visant à mettre en place un décret d’urgence ». Malgré le brouhaha médiatique que suscitera cette annonce, Steeve D. Côté confirme que le décret n’a pourtant pas encore été mis en place.
L’Association des biologistes du Québec (ABQ) a dénoncé le « manque de courage et de vision » des élus québécois « en ce qui concerne la gestion de la forêt ». M. Côté explique que le Plan Caribou du gouvernement québécois se fait attendre depuis maintenant 5 ans.
« Avec les efforts qui sont faits présentement, on n’est pas en mesure de dire qu’on va réussir à préserver le caribou forestier. Il va falloir en faire plus que ça », avoue-t-il.
Levée de boucliers dans les régions affectées
L’annonce par le ministre Guilbault d’un possible décret fédéral n’a pas manqué de choquer le gouvernement provincial et d’inquiéter certaines municipalités qui seraient économiquement affectées par la protection de plusieurs centaines de kilomètres carrés de territoire forestier.
Le gouvernement fédéral reconnait que 1400 emplois forestiers seraient en jeu par l’implémentation du décret et l’industrie forestière n’a pas manqué d’exprimer son opposition à celui-ci.
Certaines municipalités et entreprises avancent qu’une stratégie mitoyenne de protection du caribou et de la vitalité économique des régions ressources devrait être mise en place.
Steeve D. Côté considère comme inquiétante cette opposition, mais affirme qu’elle n’est pas chose nouvelle. Il est d’avis que l’économie de ces régions aurait dû être diversifiée depuis des décennies.
Le rapport final de la commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards propose par exemple de détourner une partie des emplois perdus dans le reboisement des chemins forestiers.
« Ça fait plus de 20 ans qu’on connait le problème. Il y a un manque de volonté à la fois politique et aussi au niveau sociétal, mais si on ne le fait pas on aura juste plus de caribous forestiers. Peut-être que ça ne dérange pas les gens, mais il ne faut pas dire qu’on aura fait tout ce qu’on pouvait et que malheureusement il s’est éteint. Là on fait tout ce qu’on peut pour l’éteindre. » – Steeve D. Côté.
[1] Un écotype désigne une population d’une même espèce qui s’est adaptée à un environnement spécifique. Bien qu’ils fassent tous parties de la même espèce, ces différents écotypes sont généralement différenciés génétiquement.
[2] Seule la chasse de subsistance par les nations autochtones est permise.