Photo: Julie-Anne Perreault

Du journalisme artificiellement intelligent

Cette année, c’est à Québec qu’a eu lieu le Congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. De nombreux ateliers et conférences ont eu lieu sur les trois jours de congrès, animés par une question centrale et plus que jamais d’actualité pour le monde du journalisme: « le bon journalisme sera-t-il suffisant pour traverser la tempête? ». Naël Shiab, journaliste de données à Radio-Canada faisait également partie des conférenciers, avec un atelier sur les « reportages artificiellement intelligents ». 

Plusieurs problématiques ont été soulevées au congrès de la FPJQ, notamment celui de l’intelligence artificielle, ou « machine learning » (apprentissage machine), comme l’appellent les experts. Présenté par Naël Shiab, cet atelier a répondu à de nombreuses questions, mais en a soulevé tout autant. Avec les avancées de l’intelligence artificielle, ou « machine learning », certains journalistes s’interrogent sur le remplacement de leur métier par des machines. Pour Naël Shiab, il faut surtout effectuer une distinction entre conscience et intelligence. « Quand je fais un reportage de données, je pars d’une question d’intérêt public à laquelle je veux trouver une réponse », cela relève donc de la conscience pour le journaliste de données. On serait alors encore loin du genre d’automatisation qui requiert une conscience.

La seconde distinction que Naël Shiab effectue dans ce cas, c’est la notion de travail journalistique. Est-ce que la présentation automatique, réalisée par un robot relève vraiment du journalisme? Il estime que nous sommes compétents dans certains domaines, mais qu’il n’y a pas de raisons de se priver d’un meilleur outil pouvant réaliser des tâches plus vite… « On utilise les outils à notre disposition pour répondre à des questions d’intérêt public, pour le bien de la société. Si cela veut dire que c’est une présentatrice, on ne l’arrêtera pas. Sinon, quelqu’un d’autre le fera à notre place ». Il ajoute qu’il y a lieu de s’inquiéter de ces automatisations seulement si « vous n’avez pas l’intention d’évoluer dans votre profession et d’apprendre davantage ».  

Naël Shiab part d’un constat simple et éloquent: puisqu’on n’a pas besoin de conscience pour avoir de l’intelligence, on peut donc avoir une machine intelligente qui apprend par elle-même. Ce qui se traduit par des algorithmes capables d’apprendre par eux-mêmes, en repérant des liens et différences entre divers éléments. D’une certaine manière, c’est ce que nous faisons naturellement et que la machine doit apprendre. L’intelligence consiste ici en la reconnaissance de modèles et de formes. C’est ainsi que fonctionne le machine learning, que l’on peut appliquer à un grand nombre de calculs statistiques. Le but est de « demander à des algorithmes de générer des éléments qui n’existaient pas avant ». L’apprentissage machine est particulièrement intéressant lorsqu’on a des volumes importants de données à traiter ou lorsque celles-ci sont trop complexes ou disparates, comme c’était le cas pour les Panama Papers. « Pour les journalistes, les algorithmes permettent de repousser les limites de sa propre capacité d’analyse ».  

La marge d’erreur des algorithmes est par ailleurs l’un des enjeux importants évoqués pendant la conférence. Pour Naël Shiab, la machine peut se tromper, ce qui est le cas de l’humain également. Dans le cas des algorithmes, il s’agit de statistiques que l’on peut interpréter et vérifier à travers plusieurs étapes du processus, mais cela reste des probabilités. C’est précisément ce qui peut sembler « contre-intuitif pour un journaliste habitué à se baser sur des faits avérés et pas sur la probabilité qu’une chose se passe ».  Ce taux d’erreur est également possible en journalisme traditionnel et c’est la raison pour laquelle Naël Shiab estime nécessaire de le mentionner dans les reportages.

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