Le 30 janvier dernier, Jean Laberge, professeur de philosophie au cégep du Vieux-Montréal, a été suspendu indéfiniment en raison de propos homophobes qu’il a tenus sur sa page Facebook personnelle. Même si aucune décision n’a été prise par la direction à savoir s’il sera congédié ou s’il pourra reprendre son poste de professeur, cette histoire soulève plusieurs questions quant à la liberté d’expression.
Rappelons tout d’abord ce qui s’est passé : le 29 janvier dernier, M. Laberge exprime sur sa page Facebook son aversion et avoue avoir du dégoût pour les homosexuels. Il ajoute également avoir une certaine peur et une incompréhension de l’homosexualité, soulignant cependant qu’il la respecte. Dès le lendemain, la direction du cégep suspend le professeur afin de mener une enquête, qui se poursuit toujours à ce jour.
Même si ces propos sont, en apparence, inacceptables dans la société actuelle, il sera très difficile pour l’établissement de justifier un congédiement. « Les professeurs doivent permettre un climat propice à l’apprentissage de toute personne, indépendamment de leurs caractéristiques personnelles », a affirmé Louis-Philippe Lampron, professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université Laval. C’est donc sur ce fondement que l’établissement devra évaluer s’il sévit à l’encontre de Monsieur Laberge. En effet, tel que relevé par M. Lampron, certains précédents, tel que l’arrêt Ross de la Cour suprême, démontrent que le cégep pourrait imposer une sanction au professeur de philosophie.
De son côté, Jean Laberge affirme, pour sa défense, qu’il était en dehors de son cadre de travail lorsqu’il a publié ces propos. Selon lui, le collège « commet une grave erreur » et lui cause « un préjudice considérable », en le privant de la liberté d’expression pour des propos qu’il n’a pas tenus en classe, a-t-il indiqué dans une entrevue à Radio-Canada.
Un critère difficile à appliquer
Pour ce qui est de la législation, il faut comprendre que la charte canadienne des droits et libertés a préséance sur tous les codes et toutes les lois existantes. « En droit du travail, un employeur qui impose un code de conduite beaucoup trop large et des restrictions à la liberté d’expression trop larges par rapport à l’emploi en cause […] n’aurait pas de valeur », a affirmé M. Lampron.
Pour justifier l’imposition d’une sanction, le cégep du Vieux-Montréal n’aura cependant pas à utiliser le critère de propagande haineuse, qui relève du Code criminel. Et au-delà du litige qui l’oppose à son employeur, le professeur Lampron ne croit pas que les propos qu’on reproche à Laberge atteigne le seuil de gravité exigé par la Cour suprême : « Le critère est très sévère pour sanctionner un propos inacceptable. On doit se rapprocher de propos qui incitent à la violence à l’égard des membres d’un groupe », a déclaré le professeur en droit des libertés de la personne. Pour bien illustrer le tout, il faut comprendre qu’un propos qui rabaisse un groupe, qui les méprise, ou encore qui porte atteinte à leur dignité n’est pas considéré comme de la propagande haineuse.
Dans un tel cas, le fardeau de la preuve incombe aux procureurs de la Couronne. Les avocats doivent convaincre le juge ou le jury, hors de tout doute raisonnable, que l’accusé est coupable. « Ça devient donc très difficile. La liberté d’expression doit protéger largement les propos, même dégoutants ou méprisables, sinon on risque de tomber dans la censure », ajoute Louis-Philippe Lampron.
Et si cela se produisait à l’Université Laval?
Relancée à de nombreuses reprises depuis plusieurs jours, l’Université Laval n’a pas voulu accorder d’entrevue sur le sujet. La porte-parole, Andrée-Anne Stewart, a spécifié que « le respect est une valeur importante à l’Université Laval. Si une situation est portée à notre attention, nous procéderons à l’analyse de celle-ci afin d’être en mesure de faire les suivis nécessaires ». Elle a ajouté que l’université n’avait aucune politique de surveillance des médias sociaux pour les employés.
En guise de complément, l’Université Laval a mentionné, dans un échange de courriels, qu’il y avait deux documents « en vigueur pour l’utilisation des TI [technologies de l’information] ».
Le règlement de sécurité de l’information sur l’utilisation des actifs informationnels stipule, en résumé, que les employés doivent utiliser les services informationnels pour les fins prévues seulement, sauf exception, ainsi que la politique de sécurité de l’information.
Citées en exemple, les obligations des professeurs et des professionnels font partie des exceptions, telles que convenues dans leurs conventions collectives, toujours selon la porte-parole de l’Université Laval. De ce qu’on en comprend, ces employés ont droit à plusieurs libertés quant aux actifs informationnels et à leur utilisation, mais doivent toujours le faire dans un cadre qui respecte les politiques et règlements de l’établissement.
Mme Stewart a également porté à l’attention d’Impact Campus les documents suivants, qui peuvent apporter certaines précisions quant à des situations problématiques : la Politique de gestion des ressources humaines, qui détaille les valeurs véhiculées par l’établissement (respect des personnes, reconnaissance de la diversité, compétence et esprit d’équipe), le Règlement pour prévenir et contrer le harcèlement, la Directive sur le processus d’enquête au Service de sécurité et de prévention ainsi que la Procédure de gestion d’un comportement perturbateur ou dangereux.
Alors si un ou une employé(e) de l’Université Laval tient des propos homophobes, misogynes ou tout autre commentaire déplacé, impossible pour l’instant de savoir les sanctions qui seraient prises par l’administration.
« Il existe une abondante doctrine et jurisprudence sur cette question, qu’il faudrait nécessairement connaitre et approfondir avant de tirer quelconque conclusion ou d’imposer quelconque mesure disciplinaire à l’endroit d’un membre du personnel de l’UL qui aurait agi en contravention des obligations ci-haut énumérées ou qui aurait eu un comportement douteux sur les médias sociaux », souligne l’Université.