Mercredi le 16 octobre dernier eut lieu le témoignage du premier ministre Justin Trudeau devant la commission d’enquête sur l’ingérence étrangère dans les institutions. Dans son témoignage, le premier ministre a prétendu que des membres du Parti conservateur seraient impliqué.es dans l’ingérence de l’Inde au sein des institutions politiques canadiennes. Ce témoignage a suscité une controverse et beaucoup de critiques.
Nicolas Drolet, journaliste collaborateur
Il faut d’emblée remettre les événements dans leur contexte. Ce témoignage est intervenu alors que le Canada et l’Inde traversent une tension diplomatique à couper au couteau. Cette commission sur l’ingérence étrangère existe depuis 2023 suite à des allégations d’ingérence de la part de la Chine dans le processus démocratique lors des élections fédérales de 2021. Le débat est alors passé de la Chine à l’Inde, suite à l’assassinat, l’an passé, d’un militant sikh dont le Canada accuse le gouvernement indien d’en être responsable.
En jetant un coup d’œil au fait, cependant, il est difficile de croire Justin Trudeau sur ce qu’il dit à propos de l’implication de membres conservateur.rices dans cette ingérence. En effet, depuis le début de cette commission présidée par la juge Marie-Josée Hogue, le premier ministre a témoigné à de nombreuses reprises. Dans son premier témoignage, M. Trudeau a affirmé qu’il n’y a jamais eu d’ingérence étrangère de la part de la Chine dans les élections de 2021, balayant aussi du revers de la main le témoignage de l’ancien chef conservateur Erin O’Toole, qui avançait que plusieurs candidat.es conservateur.rices avaient été intimidé.es par des agents chinois. Dans son second témoignage, il prétendit que cette ingérence avait bien eu lieu, mais qu’il n’avait pas été informé, ce qui a été démenti rapidement par sa cheffe de cabinet Katie Telford et le SCRS. Dans son troisième témoignage, il avait modifié sa version pour prétendre que le SCRS lui avait fourni des rapports à ce sujet, mais qu’il ne les lisait pas, car il voulait seulement en être briefé et que ce qu’ils affirmaient n’était peut-être pas vrai. Le ministre de la Sécurité publique Dominic LeBlanc avait même refusé de publier une liste de noms de personnes impliquées dans cette histoire d’ingérence, obtenue par le SCRS, car celle-ci n’était peut-être pas véridique. Puis, dans son plus récent témoignage du 16 octobre, M. Trudeau a affirmé avoir contacté le bureau du Chef de l’Opposition afin de l’informer de potentielles menaces à la sécurité nationale au sein même du Parti conservateur, ce qui a été démenti par le principal intéressé et par le chef de cabinet de celui-ci.
Justin Trudeau, tout comme Jagmeet Singh, argue que le chef conservateur Pierre Poilievre ne voulait pas recevoir la cote de sécurité qui lui aurait permis d’accéder aux documents qui contiendraient les noms des membres du parti impliqué.es dans de l’ingérence, parce qu’il avait quelque chose à se reprocher. M. Poilievre avait en effet refusé cette cote de sécurité, car selon lui, il ne voulait pas être tenu au secret par l’interdiction de faire état de ce qu’il a découvert, puisque cette liste est classée comme secret défense. L’argument de M. Trudeau et de M. Singh aurait peut-être tenu si le processus de décision lorsqu’il est question d’exclure un.e député.e ou un.e sénateur.rice du parti ne se faisait que par la décision seule du chef si tant est que l’implication dans l’ingérence de certains conservateur.rices soit prouvées. Or, le Parti conservateur a pour obligation de faire voter par majorité absolue caucus sur l’exclusion d’un.e député.e ou d’un.e sénateur.rice.
Et même si ce que M. Trudeau prétend est vrai, M. Poilievre n’aurait rien pu faire, car comme il aurait été soumis au secret-défense, il n’aurait pu en faire état ni publiquement ni dans l’intimité d’une réunion de caucus et même d’un vote secret. De plus, il faudrait justifier les exclusions de ces député.es devant les journalistes, ce qui aurait été difficile à faire sans évoquer les documents auxquels il aurait eu accès.
Le fait que M. Trudeau prétend avoir une liste de noms est même débattable en lui-même. S’il est sûr de ce qu’il avance qu’il publie ces noms. Sinon, cela ne montre qu’une chose : que M. Trudeau utilise sa possibilité d’avoir accès à ce que les services de renseignement pourraient lui dire à des fins partisanes. Cela dévoile aussi ce que le Général de Gaulle aurait qualifié de « politique des boules puantes », c’est-à-dire utiliser des services de l’État, en ce sens les services de renseignement, à des fins partisanes. Son utilisation par le premier ministre porte atteinte à la dignité de sa fonction.
Il faut rappeler une chose bien précise : une commission d’enquête n’est pas un procès. Ce qui fait en sorte que même si ce que M. Trudeau avance n’est pas prouvé, il ne pourrait être poursuivi pour parjure. Dans le pire des cas, cela porterait atteinte à sa crédibilité.
Il est surtout étrange que ce témoignage et ces déclarations se produisent à moins d’un an des prochaines élections. Le premier ministre a-t-il utilisé ces prétendues connaissances pour essayer de dévier le blâme vers ses adversaires politiques? A-t-il vraiment les preuves de ce qu’il avance? Peut-on lui faire confiance sur ces « indices clairs » qu’il prétend avoir sur l’Inde, alors qu’il a levé le nez sur l’ingérence de la Chine? Ces questions restent ouvertes et seul le temps pourra lever le voile sur ces interrogations.