Rosalie Genest, 20 ans et survivante d’un viol

Rosalie Genest est l’une de celles qui ont pris la parole pour dénoncer la culture du viol lors du rassemblement de solidarité mercredi dernier. L’histoire de son amie Alice Paquet, qu’elle accompagnait ce soir-là, a fait la Une des journaux la semaine dernière. La sienne, moins médiatisée, a suscité peu d’intérêt. Rencontrée par Impact Campus, elle a accepté de témoigner.

Comme beaucoup de jeunes de 20 ans, Rosalie Genest est étudiante au Cégep Garneau. Elle y suit des cours en Sciences de la nature. Militante et féministe engagée, elle est aussi coordinatrice du comité Femmes, représentante préuniversitaire de l’Association étudiante de son établissement scolaire ainsi que rédactrice en chef du journal étudiant.

Très impliquée, elle semble enchaîner les engagements associatifs et militants avec une facilité déconcertante. Rosalie revient pourtant de loin. Elle raconte en effet avoir subi un viol dans la nuit du 2 au 3 octobre 2015.

Elle a connu celui qu’elle explique être son agresseur dans les cercles militants des jeunes du Parti libéral du Québec, où elle s’impliquait. « Il y avait un spectacle au Centre Vidéotron ce soir-là, raconte la jeune femme. Il m’avait invité chez lui avec un autre membre pour un souper. Au début, c’était un souper bien normal. Mais il s’est mis à sortir des verres, des shooters et des bouteilles de vin. Au début, je n’avais pas prévu de boire parce que je conduisais. Mais je me suis dit : « je pourrai en prendre un peu, je vais revenir tard, je vais avoir le temps de digérer une bière » ».

« Après le souper, j’ai eu un black-out. J’ai des petits flashs de quelques secondes où je vomis, je me fais traîner par les deux gars parce que je n’étais pas capable de marcher. J’ai un flash aussi où j’étais dans la douche. Puis après, je me réveille nue dans un lit. Lui est par dessus moi, et il est en train de m’agresser », poursuit-t-elle.

L’étudiante décrit alors le sentiment d’impuissance qui s’empare d’elle. « J’étais vraiment molle, comme pas capable de me défendre. Je ne pouvais pas crier. Je me souviens juste d’avoir dit : « non, arrête, non ». Mais lui n’arrêtait pas : « non, là, laisse-moi faire » », rapporte-t-elle.

Prétextant l’imminence du spectacle auquel elle devait assister, Rosalie parvient finalement à s’extirper de son agresseur. « Lui est encore presque habillé au complet. Moi j’avais froid étant donné qu’il m’avait traîné dans la douche. L’autre gars était en train de dormir en haut », dit-elle.

La jeune femme se rend alors au Centre Vidéotron. « Je savais que je m’étais fait violer, mais on dirait que j’étais complètement détachée. Je n’avais aucune émotion », développe-t-elle. Un ami qu’elle rencontre ce soir-là lui dit : « on dirait que tu as quitté ton corps ».

Le lendemain au réveil, Rosalie, blessée et couverte d’ecchymoses, décide d’aller à l’hôpital. « Ma hanche était un peu déplacée, j’avais des prunes dans le front, j’avais des bleus partout », développe-t-elle.

« On pense qu’il y a eu de la drogue du viol, explique-t-elle aujourd’hui. Sauf que c’est tellement une drogue qui se perd rapidement dans le sang que, même si je suis allée à l’hôpital le lendemain, c’était parti. Ça dure vraiment 5-6 heures. »

Un processus judiciaire complexe

Rosalie explique avoir porté plainte le jour même à l’hôpital. Depuis, comme beaucoup d’autres plaignantes, son dossier n’a pas abouti en cour. « La procureure de la Couronne a refusé mon dossier parce que, entre le moment où j’ai vomi et le moment où je me suis fait agresser, j’aurais pu reprendre mes esprits puis consentir. Il faut des preuves béton, il faut qu’il y ait des témoins et, dans ces cas-là, il n’y en a jamais. C’est ma parole contre celle de l’agresseur », poursuit l’étudiante. Pour ce qui est de l’homme qui l’aurait agressée, « il y a une tache à son dossier », détaille-t-elle, « mais, à part ça, il se promène librement et il continue de vivre sa vie ».

De fait, le processus judiciaire, long et complexe, dissuade les victimes d’agressions sexuelles de porter plainte. Pour sa part, Rosalie a été encouragée par son entourage. « Mais je pense qu’il y a tellement une culture du viol que tu vas te confier et tu ne te feras pas croire. Tu ne veux pas avoir à raconter chaque fois et subir encore plus », décrypte-t-elle.

« On se fait vraiment beaucoup victimiser. On pense que c’est de notre faute. On voit que personne se fait accuser et que ça n’aboutira pas », dit-elle pour expliquer le faible nombre de plaintes. « Tu ne veux pas t’embarquer là-dedans, en plus que c’est tellement difficile de te remettre de ça. Le processus de se dire : « okay, ce n’est pas de ma faute », est super long. »

Le choc post-traumatique

Se remettre psychologiquement d’une telle agression est un long chemin de croix rempli d’affres et d’incertitudes. « Après, je doutais de moi sur tout, poursuit Rosalie. J’ai abandonné l’école pendant une session. Je ne me sentais pas capable de prendre des décisions parce que j’avais l’impression que toutes mes perceptions étaient faussées. »

La violence du choc modifie également les rapports sociaux, notamment envers le sexe opposé. Au début, « un homme est mauvais jusqu’à preuve du contraire, raconte Rosalie. C’est vraiment un processus d’apprendre que ce n’est pas tout le monde qui est mauvais, et que tu es capable de reprendre le contrôle sur ton corps et sur ta vie. C’est long, mais on finit par y arriver. »

L’étudiante insiste également sur le besoin de soutien. « C’est primordial d’avoir du support. Toute seule, on ne s’en sort pas. » Dans son cas, le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de la ville de Québec a été d’une grande assistance. « J’ai beaucoup d’amis qui se sont fait aider et qui ont fini par porter plainte avec leur suivi. Par soi même, ça prend tellement un courage de se dire : « ce que j’ai vécu, ce n’est pas de ma faute » », détaille-t-elle.

Pour faire prendre conscience de ce problème de société larvé, Rosalie préconise de commencer à petite échelle. « Il faut prendre conscience soi-même de ce qu’est le consentement et l’appliquer dans la vie de tous les jours. À commencer par dire à ses amis que les jokes sexistes, ce n’est pas drôle », déplore-t-elle.

À plus grande échelle, elle propose de « ramener une éducation sexuelle à l’école » et d’y parler de consentement. Même son de cloche pour le cercle familial, où il ne faut pas « avoir peur d’en parler à ses enfants », même si la question est souvent taboue. « Il faut commencer petit, et on va finir gros », conclut-elle.

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