Crédit photo : Association des étudiant.es en sciences Sociales

« Stagiaires, précaires. Étudiant.es en colère » : une semaine d’actions pour la rémunération des stages

Des milliers d’étudiant.es ont fait grève durant la semaine pour demander la rémunération des stages. Piquetage, rassemblements, manifestations, tombées de bannière et interventions parlementaires étaient au rendez-vous sur le campus et à Québec cette semaine pour interpeller les directions universitaires et collégiales ainsi que le gouvernement.

Par Antoine Morin-Racine, chef de pupitre aux actualités

«Y’a quelque chose dans le système qui ne va pas », s’indigne Olivier Charest, étudiant en deuxième année du baccalauréat en nutrition, en parlant des 2000$ de droit de scolarité qu’il a dû débourser pour faire un stage non rémunéré cette session. « Avec 1400 heures [de stage à faire pour l’obtention du diplôme], on s’entend que ça crée un bon trou dans le budget », lance-t-il ironiquement.

Depuis maintenant plusieurs années, des milliers de stagiaires comme lui se mobilisent pour tenter d’obtenir le statut d’employé.es ou du moins être rémunéré.es pour leurs heures de stages. Suivant une mobilisation à l’automne dernier, plusieurs associations étudiantes de la région de Québec ont voté des journées de grève entre mardi et jeudi pour mobiliser la communauté étudiante autour de cet enjeu.

«Hey Sophie ! Mon stage a un prix ! »

Plusieurs étudiant.es étaient présent.es en face de la tour Jeanne-Lapointe mardi midi. Crédit photo : Mégan Harvey

Le mouvement de grève a commencé mardi matin avec le piquetage de plusieurs cours, notamment en sciences sociales, mais aussi en ergothérapie et en agronomie. Au total plus de 10 000 étudiant.es étaient en grève dans la Capitale-Nationale seulement. À midi, les grévistes se sont rassemblés en face de la tour Jeanne-Lapointe pour exprimer leur mécontentement envers la direction. Plusieurs ont planté des petits «redflags », dans la neige et la terre qui dégelait, pour signifier l’urgence de la situation des stagiaires.

Certain.es étudiant.es en ont profité pour passer des commentaires sur les fréquents voyages de la rectrice Sophie D’Amours à l’international.
Crédit photo : Mégan Harvey

Enterrée par des slogans comme « Hey Sophie ! Mon stage a un prix !» et « Stagiaires, précaires et en colère !», Lysanne Scalabrini explique qu’elle et ses collègues en ergothérapie sont souvent délocalisé.es en région dans le cadre de leurs stages ce qui les amène souvent à devoir payer deux loyers en même temps.

La non-rémunération d’un stage entraine plusieurs complications dans la vie d’un.e étudiant.e. En plus d’une semaine de travail complète en situation d’apprentissage, iels sont souvent obligé.es de travailler un second emploi. « Le fait qu’on doit travailler le soir ou la fin de semaine, ça contribue vraiment à l’épuisement», témoigne Anaïs Chenel-Trudelle, étudiante en travail social. Avec la pénurie de main-d’œuvre, la charge de travail stagiaire est souvent cruciale aux organisations dans lesquelles iels se retrouvent et est loin de se limiter à l’observation : « avec le manque de main-d’œuvre les stagiaires ont de plus en plus de tâches … à la DPJ, il y a beaucoup de stagiaires qui se retrouve avec énormément de cas à gérer et peu de temps avec leur superviseur.e », ajoute Fabienne Pion, elle aussi en travail social.

Quand occuper un autre emploi devient impossible, les stagiaires dépendent parfois du soutien financier de leurs parents et/ou finissent par s’endetter pour subvenir à leurs besoins. Un choix difficile, surtout depuis la hausse drastique des taux d’intérêt étudiants qui se situait en septembre dernier autour de 7.7%

Des bourses pour certain.es, mais l’interdiction d’être rémunéré.es pour d’autres

En réponse à Radio-Canada lundi, l’Université Laval a tenu à rappeler l’existence des Bourses Perspectives du gouvernement provincial pour plusieurs stages non-salarié.es. Ces bourses de 2500$ par session, conditionnelles à la réussite et encaissées à la fin de la session, sont distribuées depuis 2022 dans certains domaines qui souffrent de la pénurie de main-d’œuvre.

Plusieurs manifestant.es mardi midi se sont dit insulté.es par la réponse de leur université. « Les bourses Perspectives c’est bien, sauf que ça ne répond clairement pas à l’ensemble du besoin et il y a énormément de programmes qui ne sont pas couverts par cette bourse-là, comme nous !», explique Lysanne Scalabrini au deuxième cycle en ergothérapie. D’autres étudiantes en ergothérapie ont affirmé que des bourses de délocalisation leur étaient allouées par l’Université Laval, mais qu’elles étaient insuffisantes pour même payer un mois de loyer.  «Il ne manque pas encore assez d’ergos [dans le système de santé] pour qu’on ait la bourse [Perspectives]», déplore Anne-Sophie Gagné, vice-présidente externe de l’association d’ergothérapie.

Même si peu ont critiqué leur implémentation, plusieurs membres d’administrations universitaires et collégiales, dont le recteur de l’Université de Montréal, ont depuis émis des doutes quant à leur efficacité. Répondant à travers son service de communication, l’Université Laval dit ne pas partager les incertitudes de ces autres institutions et rappelle que les stagiaires ont aussi droit à la Bourse de soutien à la persévérance et à la réussite des stagiaires, une bourse qui est « accordée pour le dernier stage obligatoire dans certaines formations liées aux domaines de l’éducation ou de la santé et des services sociaux.» Celles-ci sont accessibles à certain.es bachelier.ères en enseignement, aux stagiaires en pratique sage-femme, et aux stagiaires à la maitrise en orthopédagogie, orthophonie et psychoéducation.

Du côté des stagiaires en travail social, la rémunération va jusqu’à être formellement interdite par l’École de Travail social et d’autres programmes. « Leur raisonnement c’est que si certains milieux de travail étaient rémunérés, ça créerait une iniquité »,  témoigne Anaïs Chenel-Trudel, en riant jaune. Questionnée à cet effet, l’Université dit être en communication avec les départements et associations étudiantes concernés pour pallier au problème et que « des conclusions devraient en être tirées au cours des prochains mois.»

Une lutte féministe : « La vocation c’est pas ça qui paie ton loyer !»

Depuis le début de la lutte des stagiaires aux alentours de 2015, le mouvement étudiant parle de la rémunération des stages comme un enjeu féministe.

Effectivement, la grande majorité des stages qui sont non rémunérés se trouve généralement dans les milieux du soin (care) comme l’éducation et la santé, emplois historiquement féminins.

«C’est un enjeu féministe et intersectionnel », explique Pénéloppe Dagenais, coordonnatrice aux affaires externes de l’association des étudiant.es en sciences sociales. Elle se désole que là où plusieurs stagiaires de programme a majorité féminine comme sciences infirmières ou travail social peinent a payer leurs frais de scolarité avec les bourses qui leur sont fournies, d’autres stagiaires de programme en majorité masculine comme ingénierie ou informatique (qui touchent eux aussi les Bourses Perspectives) sortent quant à eux de leurs études avec de l’argent en poche.

La grande majorité des stages non rémunérés sont dans des milieux traditionnellement féminins. Crédit photo : Mégan Harvey

L’argument du côté vocationnel et du dévouement que requerraient les professions de soin historiquement féminines est souvent invoqué pour justifier la non-rémunération des stages. Pénéloppe Dagenais réplique que « la vocation c’est pas ça qui paie ton loyer !»

À l’intérieur et à l’extérieur du Parlement de Québec

La mobilisation s’est continuée mercredi avec une manifestation en face de l’Assemblée nationale qui attirera plusieurs centaines de personnes à l’invitation de l’Association des étudiant.es en sciences sociales de l’Université Laval (AÉSS).

Malgré le risque de pluie, plusieurs centaines d’étudiant.es se sont présenté.es en face de l’Assemblée nationale. Crédit photo : Antoine Morin-Racine

En face de la fontaine de Tourny, à partir de 12h30, des représentant.es de chacun des partis d’opposition ont pris la parole pour affirmer leur soutien aux stagiaires. Gabriel Nadeau-Dubois a tenu à dire que leur lutte se faisait en continuation directe de « cette longue tradition de lutte étudiante » au Québec. Flanqué du caucus péquiste, Paul Saint-Pierre-Plamondon a tenu à relire la motion adoptée l’an passé à l’unanimité par le parlement sur la rémunération des stages il y a un an. «Ça donne quoi de voter des motions comme celle-là, si après on peut faire exactement l’inverse ?», a-t-il déclaré en parlant d’un « enjeu de démocratie.»

Le chef péquiste était présent à la manifestation au côté de Pascal Paradis, député de la circonscription de l’Université Laval, Pascal Bérubé, député de Matane-Matapédia et ancien enseignant, puis Joël Arseneau, député des Îles de la Madeleine.

Plus tôt ce matin-là au Salon Bleu, la députée libérale Madwa Nika-Cadet profitait des dernières minutes de la période de questions pour demander un suivi sur la motion à la ministre de l’Éducation supérieure Pascale Déry. La ministre se défendra en stipulant que « des choix ont été faits » dans l’élaboration du dernier budget et que les Bourses Perspectives, la bonification des futurs salaires des stagiaires à travers les négociations du secteur public puis des investissements dans le logement étudiant, constitue des «choix exigeants, mais … nécessaires qui viennent soutenir les étudiants.» Apostrophé par le chef du Parti libéral sur ce que « vaut sa parole» à ce sujet, François Legault parlera de la rémunération des stages comme d’une contribution au déficit en soulignant une contradiction entre la pointe du chef libéral et ses récentes interventions sur la taille des dépenses publiques.

Après les parlementaires, plusieurs étudiant.es sont venu.es témoigner de leurs difficultés en tant que stagiaires ou leur support au mouvement pour la rémunération.

« En refusant de changer les choses, vous préparez les prochaines manifestations du secteur public !» – Lindsay Tétrault, coordonnatrice aux affaires pédagogiques et facultaires de l’AESS.

Justine Roy en est à sa 4e session de soins infirmiers au Cégep Limoilou. Crédit photo : Antoine Morin-Racine

Justine Roy, étudiante au Cégep Limoilou en sciences infirmières, s’insurge au micro contre ses conditions de stages : « J’ai 18 jours de stages obligatoires. Ces 18 jours-là, ça fait 2196$ brut que j’ai pas dans mes poches pour manger ! Pis là-dedans, on compte pas le parking à 10$ par jour à l’hôpital, on compte pas les uniformes à 100$ le kit, les manuels c’est 500 à 1000$ par session ! … Là-dessus on n’a pas mangé, on n’a pas payé notre psychologue. … Pendant qu’on fait la job d’une infirmière sur le plancher, il y a des stagiaires en informatique au ministère de l’Économie qui gagne 22$ de l’heure ! … Pis la fameuse Bourse Perspectives c’est des miettes de pain tabarnack ! Donnez-nous envie de rentrer dans le réseau, donnez-nous envie de faire les plus beaux métiers du monde au lieu de payer les Kings de Los Angeles !» 

En octobre dernier l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques publiait une étude qui révélait que 84% des stages effectués au Québec ne recevaient pas une pleine rémunération et qu’il coûterait autour de 388 millions de dollars de rémunérer l’ensemble des stages du secteur public.

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