Malgré les récriminations de certaines provinces, de nouveaux dispositifs de tarification du carbone ont été déployés à l’échelle du pays. Impact Campus a soulevé quelques enjeux économiques et environnementaux reliés à cette mesure avec Patrick González, professeur au Département d’économique de l’Université Laval, et Annie Bérubé, directrice des relations gouvernementales à Équiterre.
Pour Patrick González, la tarification du carbone est un « premier pas » en matière d’incorporation des enjeux environnementaux à la gestion comptable du pays : « on ne peut pas entreprendre la lutte contre les GES si on ne règle pas le problème des prix ». Quant à Annie Bérubé, la mesure lui apparaît « absolument essentielle à la lutte aux changements climatiques et à la croissance économique propre ». Le gouvernement Trudeau emboîte le pas à certaines provinces – dont le Québec – qui s’étaient déjà dotées d’une bourse du carbone ces dernières années : « on s’assure que maintenant, la tarification du carbone soit plus uniforme au Canada ».
De l’avis de M. Gonzalez, c’est de la traduction en coûts des effets de nos actions sur l’environnement qu’il en retourne : « cet effet devient incorporé au prix que vous payez ». Éventuellement, à l’échelle individuelle, la réflexion du-de la consommateur-rice sera elle-même « incorporée de manière comptable – pas au début, mais une logique viendra à être inculquée ». Plutôt que le-la consommateur-rice ne tergiverse quant à l’impact qu’il souhaite avoir ou non sur l’environnement, cet impact sera traduit d’emblée à la pompe quant au coût qu’il représente.
Un coût de 20$ par tonne de GES reviendrait à une augmentation de 3 à 4 cents supplémentaires par litre d’essence. Or, pour un coût de 80$ par tonne, le coût à la pompe s’élèverait à raison d’environ 12 cents le litre.
Selon le professeur de l’Université Laval, la tarification du carbone compte parmi une myriade de paramètres à l’origine de la fluctuation des prix de l’essence. « La répercussion de la tarification du carbone spécifiquement n’étant jamais énorme, les gens l’acceptent bien », estime Patrick González. En revanche, la directrice des relations gouvernementales à Équiterre évoque la situation de la Colombie-Britannique où la taxe carbone a été intronisée en 2008 : « les données probantes révèlent une modification du comportement des consommateurs-rices. Si la nature de l’augmentation est bien communiquée, s’il est bien clair pour le-la consommateur-rice que l’augmentation est liée à la production carbone, ça se traduit par un changement dans leur comportement ».
Une mesure qui ouvre le champ d’autres possibilités
À défaut d’être suffisante, la mesure est encourageante. Entre autres répercussions positives, Mme Bérubé anticipe un déplacement du « capital d’investissement privé vers les énergies propres ». En outre, l’uniformisation de la juridiction palliera la « fuite du carbone » qui avait cours ces dernières années. Les entreprises ne pourront plus déplacer à loisir leur production dans les provinces qui ne s’étaient pas encore dotées de la bourse carbone, se dérobant ainsi à la tarification.
La tarification du carbone devra toutefois s’accompagner d’un vaste éventail d’outils et de mesures afin que la lutte porte les fruits escomptés en matière de lutte aux changements climatiques. Les comportements individuels devront notamment être ciblés. À l’heure actuelle, le prix d’achat de certains véhicules énergivores n’est pas dissuasif, de sorte que de nombreux-ses consommateurs-rices jettent leur dévolu sur des véhicules comme les VUS. À ce titre, Équiterre suggère l’imputation d’une taxe de manière à ce que « le prix à l’achat influence désormais le choix du véhicule », en faveur de voitures moins énergivores. Des investissements doivent aussi être faits en transport actif et durable.
La tarification du carbone pave également la voie à la traduction en termes comptables de l’exploitation d’autres ressources. Ainsi, dans le sillage du carbone, le professeur d’économique suggère que les ressources minières puissent elles aussi être incorporées à la comptabilité nationale. Toutefois, en ce qui a trait aux biens et services, il appert difficile de décréter la quantité précise de ressources naturelles à la base de leur élaboration et, incidemment, le coût exact qu’ils représentent.
Par ailleurs, M. González est d’avis que nous devons redoubler d’efforts en matière de « comptabilité verte ». « Au Canada, on dit que le Québec est pauvre, en queue de peloton. Gardons en tête qu’à l’heure actuelle, dans le calcul des comptes nationaux, quand on sort les ressources du sol, ce n’est pas pris en considération : ni comme un bénéfice, ni comme une perte. Autrement dit, quand tu sors du minerai d’or, le fait que tu l’aies sorti du sol, les dommages que ça a générés sur l’environnement ne sont pas pris en considération ».
Une telle intégration des enjeux environnementaux « n’est pas triviale » admet M. González. Si l’idée d’intégrer l’utilisation des ressources dans le calcul des comptes nationaux a cheminé chez Statistique Canada, elle n’a « pas encore abouti ». Le site internet de l’organisme national de statistique dévoile l’ébauche de réflexions menées dans l’optique de « coupler directement les données économiques du Système de comptabilité nationale aux données environnementales », celles-ci s’inscrivant dans un Système des comptes de l’environnement et des ressources naturelles du Canada (SCERC). Bien que ses bases aient été jetées, présentement, le SCERC n’embrasse pas entièrement les impacts de l’exploitation des ressources naturelles au pays.
L’économie menacée par les changements climatiques
Patrick González regrette qu’une adéquation soit faite par nombre d’individus entre la croissance économique et l’utilisation des ressources naturelles. « Il faut distinguer la croissance de l’utilisation abusive des ressources. En fait, la croissance peut être compatible avec un monde radieux et plus environnemental », d’où l’impératif de réformer la manière dont elle est appréhendée. La croissance n’impliquerait qu’en partie seulement la question de l’utilisation des ressources.
Néanmoins, l’ombre que jettent les changements climatiques sur l’économie, et sur la capacité d’adaptation de l’humanité est menaçante. Annie Bérubé est univoque : « Au Canada, on ne se croit pas touché, mais on est économiquement et environnementalement très vulnérable, les impacts seront très négatifs sur la production agricole. Dans les prairies, l’impact de la sècheresse sera marqué. L’exploitation forestière sera négativement impactée par les changements climatiques ». Elle avance que des coûts annuels de cinq milliards de dollars annuellement seront engrangés par l’adaptation aux changements climatiques, notamment en termes d’infrastructures et de réparation des dommages aux autres biens immobiliers.