Devons-nous être utiles, utilitaires? À qui et pourquoi? Peut-on qualifier et quantifier une personne par son apport à la société? Tout objet désuet doit-il se retrouver aux confins de la Terre, là où les rebuts se volatilisent? À toutes ces questions, l’artiste Francine Noël oppose un «Non!» bien sonnant. Par le biais du recycle-art, Francine Noël «offre un second souffle de sens à des matières et objets rebus». Ressorts, verres fumés, timbres, écorce, bouchons de liège, tout y passe. Par la force de son imagination et l’habileté de ses doigts, elle détourne les objets de leur marche funèbre vers les poubelles et leur façonne un nouveau visage. Elle leur offre une vie nouvelle, une vie «d’objets qui donnent à penser et non à consommer.» Mme Noël tente «d’éveiller la réflexion» en réalisant des sculptures et des tableaux par assemblages de matières recyclées. Pour elle, l’artiste «est une manière de fou du roi, libre de paroles et tenu d’étonner. Il va au-delà des modes et inscrit son époque dans le temps.»
Vous avez probablement remarqué que chaque génération d’objets que nous considérons nécessaires à un bon ménage, (réfrigérateur, lave-vaisselle, micro-onde, lecteur, CD, DVD, Blue ray…) voit sa durée de vie raccourcie par rapport à la précédente vague d’hyper-utiles. Savez-vous où nos précieux ordinateurs, qui se massent chaque jour en une carapace terrestre plus étendue, terminent leurs jours? Une immense majorité atterrie dans un spacieux dépotoir aux coûts de location très bas ; l’Inde. Des enfants, des hommes et des femmes dénudent nos détritus de leur enveloppe plastique pour en atteindre le cœur ; les fils électriques. À l’intérieur des gaines de plastique se trouvent une mine de cuivre qu’ils revendront ensuite à des prix dérisoires. La vie de ces gens est rendue misérable et considérablement abrégée par les fumées hautement toxiques résultantes de la combustion des plastiques.
Si nous osions nous parler plutôt que de nous «courrieller». Si nos industries cessaient de modifier, chaque année, la compatibilité des appareils, alors peut-être ressentirions-nous moins fortement cet appel du luxe. Le cellulaire dernier cri, l’ordinateur portable le plus performant, le lecteur mp3 possédant la plus grande mémoire pèseraient peut-être moins lourd dans la balance des priorités. Si nous n’avions plus à nous échiner tant d’heures au travail afin de nous procurer ces objets modernes, supposés nous faciliter l’existence, aurions-nous alors plus de temps libre à consacrer aux êtres qui nous sont chers plutôt qu’aux objets qui nous coûtent chers ? Je fabule, encore.
Pour Francine Noël, «l’art participe au discours social de son époque, il sert à célébrer la vie autant qu’à dénoncer la connerie qui l’entoure.» La création est un véhicule privilégié de communication. Une de ses grandes forces est de laisser l’observateur libre de son interprétation, d’en tirer le message qui lui convient. «Ça m’exaspère de nous voir balancer au trou des matières encore riches de potentiel. Ça m’attriste qu’on ne perçoive plus la beauté sans un emballage plastique. Ça m’inquiète que le trou ne devienne montagne avant longtemps», soutient-elle. Souhaitons-nous, humains, de retrouver les plaisirs sans branchements.