Vendredi dernier, 17h30, au studio de la Rotonde, les quatre danseurs de NU, à une semaine et demie de la première, répètent. En costume de pratique, les pieds enrubannés de sparadrap, sans musique, Alan, Marilou, Alexandre et Arielle peaufinent les derniers enchaînements de la chorégraphie. «C’est là que ça bloque, ça fait souvent ça», lance l’un. «Si tu mets ton pied là peut-être que ça ira», répond l’autre.
Aidés d’Isabelle, la répétitrice, ils s’ajustent les uns aux autres pour atteindre, ils l’espèrent tous, un synchronisme parfait. «On fait le cleanage!», explique le chorégraphe, qui s’affaire à préparer l’enrobage des lumières avec l’éclairagiste, en tentant en même temps de discipliner Mia et Zoé, ses deux jolies chiennes qu’il traîne toujours avec lui.
À 18h, la pratique se termine. Les danseurs se félicitent, s’étirent, puis s’en vont, tranquillement, en prenant bien soin de saluer et de remercier le chorégraphe, laissant entrevoir la complicité qui règne entre eux. «Mes danseurs sont mes sources d’inspiration, ils sont aussi importants que la pièce, commente Harold. On travaille vraiment en équipe : je crée le mouvement, ils se l’approprient, le transforment pour l’adapter à leur corps et me font des propositions pour le faciliter. C’est un véritable dialogue qui s’installe entre nous.»
Une nécessité
Après Le fil de l’histoire, présentation interactive à 14 danseurs, en plein air, mobile, qui a connu les louanges de la critique ainsi que du public cet été et pour laquelle M. Rhéame a été récemment nominé aux Prix des arts et de la culture de la ville de Québec, NU, à l’opposé, intimiste et feutré, se présentait comme une nécessité pour le fondateur du Fils d’Adrien danse. «J’avais commencé à créer NU avant même Le fil de l’histoire, confie-t-il. La gestuelle sortait toute seule! Il fallait que cette chorégraphie-là sorte de moi!»
La gestuelle exprime la vulnérabilité de l’être humain, dans ses forces et aussi ses limites, très basée sur les rencontres perpétuelles entre les gens. «Les danseurs s’enlacent, se séparent, se prennent, il y a beaucoup de contacts physiques, précise le chorégraphe. Quelqu’un me disait que c’était un peu à l’image du roman Liaisons dangereuses, où les gens tissent entre eux des liens très serrés, ce qui peut conduire à la trahison et aux retranchements amoureux.»
Pour illustrer ces relations interpersonnelles, le chorégraphe a travaillé avec des tableaux de solos, de duos et de trios. «Je tenais à ce que chacun des quatre danseurs ait son solo, avance-t-il. J’ai aussi fait deux trios, l’un qui mise beaucoup sur la notion de triangle amoureux, et un autre où deux personnes en accompagnent une troisième, qui ne pourrait agir si les deux autres n’étaient pas là. Il est supporté.»
En tournée
Après les trois représentations de sa plus récente œuvre, Harold Rhéaume quittera pour Montréal, puis pour la France, pour y présenter Variations mécaniques, une création née d’une rencontre à Paris, en 2004, entre le chorégraphe et Yvan Dagenais, un plasticien parisien. La présentation, chorégraphiée et dansée par Harold Rhéaume, met en scène un Culbuto et une immense Patineuse, deux sculptures amovibles créées par Dagenais. «C’était la première version de ce qu’allait devenir Variations mécaniques. On avait alors présenté cinq spectacles là-bas et tout le monde était content!», raconte Harold.
Trois ans plus tard, les deux hommes reprennent contact pour pousser plus loin le projet. La Maison des Arts de Créteil se joint au concept et propose à l’équipe une résidence de deux mois dans son studio ainsi que neuf nouvelles représentations devant de jeunes Français. «Je dansais devant 250 jeunes de 3 à 12 ans tous les soirs et j’étais nerveux parce qu’on ne sait jamais comment des gens de cet âge-là vont réagir. Et il y a un monde entre 3 et 12 ans! J’étais super stressé en coulisses jusqu’à ce que j’entende un jeune dire “Regarde maman, il est barbu le monsieur!” et là je me suis lancé et ça a super bien été, relate-t-il. C’est fou comment un même spectacle peut parler à deux publics complètement différents!»
«S’auto-chorégraphier», facile pour Harold Rhéaume? «Non. C’est l’affaire la plus dure, lance-t-il, sans hésitation. J’aime pouvoir sculpter les corps, le mouvement, le voir sur les danseurs. Mais quand tu te chorégraphies toi-même, et en plus quand tu es seul à danser, tu n’as pas de regard extérieur, alors tu travailles avec la vidéo». Et pas question de travailler avec les miroirs! «En danse contemporaine, c’est plus le feeling que te donne le mouvement qui compte que le mouvement lui-même…»