La performance renversante de Jocelyn Sioui aspire le public dans sa boîte à souvenir, là où les mythes de familles deviennent aussi ceux des peuples. Sa pièce profondément humaine, Mononk Jules, présentée jusqu’au 18 décembre au théâtre Périscope est un rendez-vous intime avec l’histoire.
Par Laurent Lacaille-Roy, journaliste collaborateur
Une mise scène authentique qui sait attraper le regard pour lui dévoiler, à l’aide de marionnettes, de maquettes et de projections, la grandeur de l’infime. Seul sur scène, l’auteur, interprète et marionnettiste autochtone redonne vie à la mémoire de son grand-oncle, Jules Sioui. Héros tragique et véritable guerrier wendat animé par la haine de l’envahisseur, « Mammouth Jules » a fait de sa vie un véritable combat pour la reconnaissance des droits des peuples autochtones.
Dès 1940, la conscription des autochtones qui n’avaient même pas le droit de vote est un scandale pour Jules Sioui qui entame une guerre non violente contre le gouvernement canadien. Il est le premier à avoir rassemblé plus de 200 chefs en provenance de toute l’Amérique du Nord. Perquisitions, procès, condamnations et emprisonnements n’auront pas raison de l’homme et de la force de sa voix. Lui qui milite pour l’indépendance des Premières Nations et l’établissement d’un gouvernement autochtone résiste par le sacrifice de sa propre personne : en 1950 il fait une grève de la faim de 72 jours. Accusé d’être un conspirationniste et d’avoir créé un État autochtone, il est soutenu par la plume de Pierre Gauvreau, automatiste du Refus global.
Que doit-on faire avec la mémoire des héros qui ont commis de graves erreurs ? C’est ce que la pièce interroge, comme une musique jouée sur nos cordes sensibles. Ces papiers enfouis au fond d’une boîte brune cachée sous la poussière dans le grenier sont comme des prismes au travers desquels on se souvient. Ces documents qui soufflent la vérité, en bourrasques décoiffantes ou en brises apaisantes, qu’on les encadre au centre des pièces ou qu’on les chiffonne, il n’en reste pas moins qu’ils témoignent du passé. La mémoire est un devoir envers les générations futures et il est sain de présenter nos héros comme ils le sont : humains, complexes et surtout, imparfaits, à l’image des gens du quotidien.
Sans contredit, l’œuvre de Jocelyn Sioui est à voir absolument. Elle s’inscrit dans un courant théâtral qui semble se dessiner de nos jours, un théâtre humain et authentique, qui s’éloigne d’un hermétisme intellectuel pour parler vrai. Après cette longue prohibition culturelle, le théâtre d’ici s’affirme comme une thérapie collective qui libère la vérité du spectacle. C’est un théâtre émancipateur.
© Crédits photo : Théâtre Périscope