Photo: Courtoisie, Nadine Viau

La « courroie de transmission » de Pascale Ferland

« Ce film-là, il a une utilité essentielle : celle de la transmission vers l’autre. J’avais le goût de faire œuvre utile, de faire un film qui soit porteur dans le contexte politique actuel ». Ainsi la réalisatrice Pascale Ferland en est-elle venue naturellement à consacrer un documentaire à Pauline Julien, exhumant les images, les chansons et les mots de cette femme dont on s’émerveillait qu’une silhouette aussi gracile soit habitée par une telle grandeur d’âme.

Impact Campus s’est entretenu avec la réalisatrice du documentaire Pauline Julien, intime et politique.

Plus visibles que le reste, dévorant son visage : de grands yeux noirs comme deux immenses fenêtres. À travers le prisme de celles-ci, nous découvrons les songes, les angoisses et les aspirations de la chanteuse. Des yeux qui roulent, se lèvent au ciel, scrutant l’horizon pour y débusquer une issue à la crise que traversait le Québec des années 60-70. Deux pans de cils denses vrillent frénétiquement devant son regard vif, un peu halluciné. Gérald Godin la désignait, entre autres mots tendres, comme son « paquet de nerfs ».

Il n’y a pas à dire : vingt ans après sa mort, le charisme que l’on reconnaissait à Pauline Julien opère toujours à travers les images qu’a colligées Pascale Ferland.

La réalisatrice a eu le goût de faire un film sur Pauline Julien dès 1999. Or, mieux a valu « laisser couler l’eau sous les ponts » suite à l’« événement traumatique » qu’avait forcément représenté le suicide de la chanteuse pour ses proches.

Puis, en 2014, la réalisatrice était en proie à une « grande fatigue du contexte social et politique » moribond. « Je sentais qu’on stagnait, il n’y avait pas de projet politique, pas de passion. Moi ça me fatiguait, donc j’avais vraiment le goût de prendre position politiquement moi-même à travers un film ».

Petit à petit, le film a pris forme, se constituant à partir d’un lot « de 500 correspondances de la chanteuse » dont la fille Pascale Galipeau était la détentrice des droits. Avec le concours précieux d’Emmanuelle Germain, une étudiante à la maîtrise en études littéraires à l’Université Laval, la réalisatrice s’est appliquée à décrypter la « correspondance savoureuse » qu’ont entretenue Pauline et Gérald Godin. Loin de les terrasser, le « monstre d’archives consacrées à Pauline » a ainsi été appréhendé.

Un film reposant largement sur les images

En plus d’intégrer de nombreuses images tirées des archives de Radio-Canada et de CBC, Pascale Ferland est parvenue à conférer une « dimension européenne » au film. Des « archives inédites » révèlent les tribulations de Pauline Julien en Europe à l’aube de sa carrière dans les années 60, puis flanquée de Gilles Vigneault dont elle a été la première à entonner les airs à Paris.

Inextricables vocations que celles d’artiste et de militante : de retour au pays, Pauline a éventuellement embrassé la cause de la libération du Québec. On l’observe étayer ses aspirations pour son peuple sur de nombreuses tribunes, de même qu’être partie prenante des contestations qui secouaient le Québec.

En 2011, Simon Beaulieu a consacré un documentaire à Gérald Godin. Celui-ci « était constitué autour de personnes qui l’avaient connu ». Or, Pascale Ferland a voulu « se distancier de ça », faisant largement reposer son film sur les images d’archives et ne comptant pour seul intervenant qu’Alan Glass, un artiste visuel montréalais et ami indéfectible de Pauline. La conception sonore du musicien de formation jazz Jean-Phi Goncalvez a contribué à restituer aux images « la fébrilité ou l’angoisse ou la crainte intérieure que les gens vivaient à l’époque. Puis, au niveau de tout l’onirisme et des zones de métaphores dans le film, la musique nous plonge dans le monde intérieur de Pauline ».

Parvenue à une certaine maturité et désireuse d’être « innovante, de ne pas faire une biographie didactique », Pascale Ferland estime que son film ne serait pas pourvu d’une telle résonance métaphorique si elle n’en avait pas mûri le projet aussi longtemps. « Quand on est cinéaste, on se bonifie avec le temps. Là, je sentais que je maîtrisais mon médium, que j’étais capable d’aller plus loin dans ma capacité de raconter cette histoire-là ».

Un modèle pour les jeunes

Pascale Ferland a voulu « mettre de l’avant l’humanité de Pauline Julien », toute mythique apparaisse-t-elle par ailleurs. « Elle est fragile comme tout le monde, elle a un grand manque de confiance en elle ». La réalisatrice affirme s’être reconnue dans les angoisses qui pétrissaient la chanteuse. « Ça m’a pris des années avant d’acquérir assez de confiance pour aller de l’avant et suivre mes convictions. Pis en fait, peut-être que si j’avais eu un modèle comme Pauline Julien, et vu à quel point elle aussi avait ces doutes-là, j’aurais pris mes décisions avant ».

Surtout, Pascale Ferland estime que Pauline Julien constitue un « grand modèle féminin pour inspirer, pour donner le goût aux jeunes de reprendre le flambeau ». « Je pense que peu importe la cause, ce qu’il faut dans la vie, c’est prendre le flambeau et dire qu’on n’est pas d’accord, pour faire avancer la société. On a un grand pouvoir citoyen. Tant que les jeunes ne se réapproprieront pas leur pouvoir, ils vont s’en faire passer une. À un moment donné, ils vont être tannés j’espère, pis ils vont sortir dans la rue. Moi je suis plus jeune, je fais plus partie de ça, mais j’ai passé ma vingtaine dans la rue. Et il y a eu des modèles avant eux. S’ils ont plus connaissance de leur histoire, ils vont savoir d’où ils viennent, et peut-être que ça, ça va leur donner l’élan pour aller de l’avant. Donc l’idée c’est ça. C’est la transmission, la passation ».

Invoquant une sorte de « tremblement de besoin chez les gens de trouver un sens à leur vie », une « grande désespérance collective qu’on vit tous », par le truchement de la figure marquante de Pauline Julien dont la vie écourtée aura zébré durablement le ciel de notre existence collective, le film qu’offre Pascale Ferland aux cinéphiles est non seulement magnifique, mais essentiel.

Il n’y a pas à dire : le soleil de septembre darde ses rayons excessifs et inhabituels sur le florissant FCVQ. La huitième édition de ce succès renouvelé d’année en année se poursuit jusqu’au samedi 23 septembre.

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