À tous ceux qui ne me lisent pas, réalisé par Yan Giroux, est en salle depuis le 23 novembre dernier. Giroux en était à ses premières armes en ce qui a trait au long-métrage de fiction, lui qui avait auparavant réalisé quelques courts-métrages et longs-métrages documentaires; l’un de ses courts-métrages, Lost Paradise Lost(2017), a remporté les prix de la critique et de la meilleure direction photos au Gala Prends ça court! en 2018. Deux de ses courts-métrages, Surveillant et Mi niña mi vida, ont même été présentés au festival du film de Sundance, grand festival de cinéma d’auteur aux États-Unis.
Le film est librement inspiré de la vie et de l’oeuvre d’Yves Boisvert, un poète québécois ayant vécu de 1950 à 2012, né à L’Avenir et mort à Sherbrooke. Sur une durée d’environ 35 ans, Boisvert a écrit une trentaine de recueils de poèmes. L’histoire est intéressante, d’autant plus en raison de la performance de Martin Dubreuil dans le rôle principal. On s’attache rapidement au personnage qui possède une certaine prestance et un charisme, bien que le réalisateur nous le montre comme étant un grand adolescent qui passe son temps à courir les jupons, à boire, à faire le party et à dépendre des autres lorsqu’il se fait évincer de ses appartements.
À certains moments bien dispersés dans le film, on sent également que le personnage d’Yves Boisvert est un peu comme un extraterrestre. Par exemple, peu de temps après le début du film, notre personnage se retrouve dans une soirée où il fait la rencontre de Dyane (interprétée avec brio par Céline Bonnier). La soirée commence et l’on voit Boisvert assis sur un divan, seul, en manteau de cuir et linge un peu délavé, alors que tout le monde est propre et assez chic. Une femme assise à côté de lui se met à lui parler, mais on sent que ce n’est pas tellement naturel et confortable comme discussion. Elle se clôt assez vite parce que Boisvert aperçoit Dyane et va à sa rencontre ; cette dernière sera pour le poète, tout au long du film, un peu la porte de sortie de sa vie désoeuvrée.
Le fils de Dyane, prénommé Marc et interprété par Henri Picard, est au début du film réticent à l’idée d’avoir un nouveau beau-père, et il le fait sentir à travers sa nature distante et peu bavarde. Cependant, plus le long métrage avance, plus le personnage de Marc va s’ouvrir à l’art et au côté rebel de son beau-père. Bien par dépit, le jeune homme qui achève ses études secondaires semble vouloir rentrer en médecine, tout comme son père : « J’ai les notes pour y aller ». À mesure que le récit progresse, on est cependant porté à penser qu’il pourrait finalement changer d’idée. Ceci n’est pas clairement énoncé de sa part, mais la performance toute en subtilité de Picard nous fait nous questionner sur l’avenir de son personnage.
Une belle réussite technique
Le tout premier plan du film est un plan-séquence magnifiquement exécuté d’environ trois minutes. D’un plan moyen sur le personnage principal interprété par Martin Dubreuil, la caméra se déplace tranquillement à l’intérieur du bar où Yves Boisvert récite quelques-uns de ses textes. La caméra y va de plusieurs très beaux mouvements où elle pivote sur elle-même dans toute sorte de direction, comme si elle était sur une sphère, sans que ce soit désagréable pour le spectateur. Elle y va également de quelques travellings latéraux; une très belle entrée en matière où l’on est tout de suite submergé par l’histoire, l’ambiance du bar, la musique y régnant, etc. C’est un aspect du film qui sera présent presque tout du long; la caméra est rarement fixe, ce qui rend le film vivant et dynamique pour les yeux du spectateur. D’une certaine façon, cela contraste avec le fond du film, une histoire assez lente et poétique dans l’ensemble.
Il s’agit somme toute un bon film avec un beau traitement, où les acteurs et actrices offrent de belles performances, sans toutefois être extraordinaire; on pense notamment à Martin Dubreuil, Céline Bonnier et Henri Picard (qui, par ailleurs, a commencé sa carrière l’an dernier dans le film Les rois mongols, réalisé par son père Luc).