Déstigmatiser le stigmatisé
La maladie mentale, le rapport au corps, le passage de l’enfance à l’adolescence ; voilà une belle brochette de thèmes tout en lourdeur auxquels Stéphanie Boulay a fait le pari de s’attaquer dans À l’abri des hommes et des choses… avec légèreté.
Celle que l’on connaît davantage comme l’une des deux Sœurs Boulay s’inscrit dans l’espace littéraire avec ce premier roman publié chez Québec Amérique. L’histoire est celle de la narratrice et de sa proche, Titi, qui écoulent leur vie à l’écart de la société. La vie, l’amour, les amitiés évoluent à petits pas, à travers les yeux d’une protagoniste au tournant de l’innocence. Porté par une langue poétique, le roman est construit par fragments – de courts chapitres de trois ou quatre pages – marqués par l’hermétisme du personnage « qui n’a pas le droit de décider de [s]a propre vie ». On aime ou on n’aime pas, mais on ne reste pas indifférent.
Assurément, on s’attendait à un texte imagé de la jeune femme, à l’instar des vers qu’elle signe pour sa carrière musicale. Les nombreux zeugmes (« J’aime la fraîcheur de la nature quand elle est belle, et me baigner ») et métaphores (« Ses dents étaient toujours déshabillées ») constituent un des points forts du roman, puisqu’ils calquent la psychologie de la protagoniste. Parmi ces paroles déguisées, se glisse de temps en temps une profonde vérité qui expose la nature du livre, soit celle de donner une voix à ceux qui murmurent : « Mais on ne peut réinventer tout le monde à sa guise, et ça prend beaucoup d’efforts pour raccommoder quelqu’un qui a déjà été cousu d’une certaine façon ».
Malgré tout, À l’abri des hommes et des choses n’échappe pas à son statut de première tentative littéraire, dans la mesure où s’y glissent quelques maladresses. Notamment du côté narratif, qui tangue entre le rapide et le lent sans jamais trouver véritablement son rythme. Si les premiers chapitres stagnent, les derniers s’accélèrent et perdent la candeur qui définissait préalablement le personnage. Procédé stylistique ou bévue propre à l’inexpérience? Quoi qu’il en soit, le lecteur se trouve déstabilisé par l’accélération soudaine. Du coup, les révélations qui éclosent abîment l’hermétisme de la narration, contribuant de facto à une défocalisation narrative. On apprécie l’effort de cohérence entre la lucidité qu’acquiert le personnage et les caractéristiques formelles de l’œuvre; or, cela reste mené de façon un brin maladroite.
Nonobstant les quelques faux pas, ce premier opus de Stéphanie Boulay se révèle porteur d’une profonde réflexion sur la marginalité. Bien avant la lourdeur des thèmes, c’est la fonction de déstigmatiser le stigmatisé qui ressort du roman. Pour le meilleur. À l’abri des hommes et des choses clame haut et fort le droit pour tous à l’amour et à l’ouverture. Autant dire qu’il s’agit là d’une belle première réussite littéraire pour celle qui se définit comme une « auteure qui chante ».