Michael Bay, ce génie
Michael Bay et la pyrotechnie de l’esprit : le sous-titre, déjà, fleure bon la parodie. La prémisse du premier roman de Mathieu Poulin ne peut susciter qu’un étonnement mêlé d’hilarité, tant elle semble incongrue. Et si Michael Bay, grand créateur de navets devant l’Éternel, était un génie incompris ? Et si son œuvre était porteuse du message subversif d’un grand philosophe ? Autant de questions qui détonnent, et qui donnent corps à une fausse biographie fantasmée aussi amusante que décalée.
On connaît Michael Bay, réalisateur attitré de la série Transformers, pour son amour immodéré des scènes pétaradantes, son patriotisme exacerbé, ses scénarios anémiques et sa formidable capacité à faire courir les foules en leur promettant le plus vide des vides. On imagine l’homme à l’image de ses films : vain, un peu requin, éternel ado aux dents acérées, roi heureux et richissime du box-office et du film à format.
Michael Bay récitant de mémoire le Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, voilà un formidable effort d’imagination.
Dans le monde survolté imaginé par Mathieu Poulin, rien n’est plus faux. Sous la plume parodique de l’écrivain, Michael devient un authentique intellectuel, fidèle aux valeurs et à l’esprit de curiosité hérités de la prestigieuse université Wesleyan (où l’homme a réellement étudié). Les apparences sont totalement inversées dans cet univers délirant, parsemé de scènes d’anthologie tant elles paraissent incroyables. Michael Bay récitant de mémoire, de concert avec les producteurs éclairés Don Simpson et Jerry Bruckheimer, le Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, voilà un formidable effort d’imagination. Et quand, face à un Michael tout dévoué à l’art, Quentin Tarantino et Aaron Sorkin se transforment en scénaristes aux visées bassement mercantiles, il est difficile de ne pas sourire, ahuri.
Les retournements opérés par Mathieu Poulin sont souvent d’une désarmante simplicité : il n’y a rien d’opaque dans ces savoureux clins d’œil, que le cinéphile moyen devrait saisir sans encombre. L’auteur joue habilement avec les codes du genre : la vie de Michael se confond ainsi avec son œuvre et prend la forme d’un film d’action débordant de kitsch à l’intrigue improbable, parsemé de courses-poursuites rocambolesques. Les acteurs dirigés par Bay se transforment alors en autant d’incarnations archétypales de leurs célèbres alter ego cinématographiques. Quant aux dialogues, recouverts d’un verni de fausse érudition – les références à Platon, Derrida et Memmi fusent de partout –, ils sont joyeusement bancals et doctement vains.
Le récit a ses faiblesses et ses trous, parfois aussi gros que ces porte-avions que le cinéaste se plaisait à faire sauter dans Pearl Harbor.
Et si la tirade enflammée et destructrice contre le cinéma de Michael Bay lancée par une amoureuse déçue s’avère jouissive, Mathieu Poulin réussit même à rendre attachant le réalisateur, dépeint comme un naïf idéaliste au cœur tendre.
Certes, le récit a ses faiblesses et ses trous, parfois aussi gros que ces porte-avions que le cinéaste se plaisait à faire sauter dans Pearl Harbor. Le ton parodique est juste, l’écriture efficace, mais le délire mystique qui constitue l’aboutissement de la partie « suspense » de l’œuvre déçoit. Il n’empêche : le plaisir est là. Bay qui cherche à retrouver dans les explosions la réponse à la question philosophique du sens et des origines, c’est fort drôle. Ça donne presque envie de se retaper ce formidable pamphlet sur la décolonisation qu’est Bad Boys. Ou pas.
3,5/5
Des explosions
Mathieu Poulin
Éditions de Ta Mère
En librairie depuis le 3 novembre