Crédit photo Maxim Paré-Fortin

Retour sur cette 26e édition du Mois Multi, à thématique COPRS ET EN.JEU.X, notre Festival international d’arts multidisciplinaires et électronique préféré. Accrochez-vous, il y en a pour tous les goûts ! 

Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), cheffe de pupitre aux arts, et Julianne Campeau, journaliste collaboratrice

Surveillée et punie – Frédérik

Sublimer la haine, voilà l’ambition qui lie l’autrice-compositrice-interprète Safia Nolin et le metteur en scène Philippe Cyr. Ensemble, il et elle s’emparent des milliers de véritables insultes proférées à l’égard de la chanteuse comme matière première d’une création hors norme et entièrement musicale. Quel sens donnons-nous à la liberté d’expression lorsqu’elle se matérialise en violence ?

Plusieurs jours après avoir assisté au spectacle, je peine encore à me recomposer. Comment pleinement rendre compte de mes impressions, de mon indignation tout comme de ma fascination ce soir-là ?

N’ayant pas trop d’attentes avant d’y aller, il m’en fut donc très peu pour me faire perdre pied. La plupart des spectateur.rices semblaient déjà familier.ères avec la haine que reçoit quotidiennement Safia, et ce, depuis plusieurs années, mais on pouvait d’autant plus mesurer l’ampleur et la force de cette violence tristement normalisée à travers les chants du chœur, d’ailleurs lui-même cagoulé. Il a bien fallu un certain temps avant de s’y faire – ne s’y fait-on jamais ? – parce que vraiment, ça fesse. On se dit que ce n’est pas possible ; ce l’est.

Il est vrai, comme certain.es l’ont déjà soulevé, que notre attention, à la longue, finit parfois par se détourner de ces paroles mises en musique, au fil du spectacle. Certaines critiques accusent une redondance, malgré que les 80 minutes réussissent constamment à nous surprendre, encore et encore. On en voit des vertes et des pas mûres. En même temps, cette « répétition » (qui à mon sens n’en est pas une) des insultes, injures et menaces du début à la fin ne témoigne-t-elle pas justement de cet acharnement si persistant, de sa virulence, de sa surprenante durée dans le temps et qui, sans perdre en intensité ni en atrocité, nous montre peut-être aussi la désensibilisation face à certains propos haineux en ligne, à force d’en lire et d’en entendre à la pelletée ? Mais de toute façon, le propos de Surveillée et punie, à plusieurs égards, dépasse largement ces phrases assassines, aussi horribles ou même absurdes soient-elles.

Exercice de réappropriation et d’empouvoirement s’il en est un, il permet, comme on a pu le lire et l’entendre à maintes reprises, de sublimer la haine, mais aussi de déplacer le regard, sans pour autant négliger toute la violence à laquelle on assiste, sur et hors scène. Si on réussit à la dépasser, c’est grâce à tout le reste ; c’est dans la mise en scène, dramatique, mais pas tragique, dans les pièces, plus acoustiques et toutes en simplicité, qu’elle nous livre (et qui sont si bien intégrées à l’ensemble), dans les moments où notre cœur se serre et ceux où l’on se lève pour danser, taper des mains et clamer tout notre amour pour ce spectacle dans lequel sérieux et relâchement comique font bon ménage. Et que dire de la complicité entre Debbie Lynch-White et Safia ! Choix judicieux qu’est celui du double, à la fois reflet, unicité, autodérision puis refuge.

Surveillée et punie, à l’image de ses interprètes, est sans compris. On en ressort bouleversé.es de toutes sortes de manières, parce qu’on réussit à y faire cohabiter des émotions à l’opposé les unes des autres. À travers l’effroyablement laid, on nous offre un moment d’intimité, de vulnérabilité auquel on se sent privilégié.es d’assister. Si c’est parfois grandiose, c’est aussi terriblement sincère (est-ce que c’est ça, simplement être soi ?).

Et à celleux qui questionnent la démarche, l’intention ou la soi-disant victimisation, je répondrai qu’iels n’ont visiblement rien compris. Un beau fuck you à elleux aussi.

THIRST, précédé de Aubes – Julianne

En première partie, Alexis Langevin-Tétrault et Guillaume Côté nous présentent Aubes. Pendant 25 minutes, nous nous retrouvons immergé.es dans un univers non figuratif d’une grande beauté, que j’ai découvert avec une curiosité enfantine. Il s’agit du genre d’expérience qui donne la sensation de quitter son corps pour se laisser porter par l’œuvre devant nous.

Après cette introduction relaxante, le spectacle THIRST, d’une durée d’environ une heure, nous propulse dans ce qui ressemble à un univers postapocalyptique, où les images de ruines succèdent aux symboles capitalistes, et où la frontière entre humanité et bestialité s’amincit continuellement, jusqu’à ce qu’elle devienne inexistante. L’humanité entière semble figée dans un cri de terreur, horrifiée par sa propre monstruosité. Les images se succèdent à un rythme endiablé, au son d’une musique au tempo très rapide et au volume très élevé, qui nous tient en haleine. Les images 3D semblent si proches qu’on croirait pouvoir les toucher. Je décrirais cette expérience comme étant d’une sublime atrocité. Ce genre de prestation ne plait pas à tout le monde, mais moi, personnellement, j’ai adoré.

Le Mois Multi en bref

Je dois vous avouer que j’étais particulièrement excitée de couvrir le mois Multi, pour la simple et bonne raison que je n’y avais jamais participé. Je n’ai pas été déçue. À l’exception de la soirée Futur_Fatigue, à laquelle je me suis un peu ennuyée, étant une personne solitaire par nature, j’ai adoré tous les événements que j’ai couverts. Je recommande fortement ce festival aux personnes qui, comme moi, aiment les prestations artistiques qui sortent de l’ordinaire – Julianne

Outre les excellentes performances et spectacles que nous offrait cette édition du Mois Multi, il était aussi possible de visiter tout un lot d’expositions. Éthéréalité (Sabrina Ratté) est probablement l’une des expositions coup de cœur : qui n’aime pas les expositions interactives ? Elle nous permettait à la fois de prendre part au jeu – pensons à son oracle –  et d’adopter une posture plus contemplative ou méditative, joignant savamment nature et technologie que l’on a souvent tendance à opposer. Ici, il n’est pas question de l’une ou de l’autre, ni d’une simple co-existence, mais carrément d’une nouvelle forme de vie dans laquelle ses dimensions sont intimement liées. – Frédérik

Auteurs/autrices

Consulter le magazine