La saison de La Bordée se termine de façon grandiose avec une comédie noire signée Jean-Marc Dalpé, Lucky Lady. Patric Saucier à la mise en scène, orchestre habilement les emportées lyriques de ces cinq personnages colorés.
Bernie veut reprendre sa vie en mains et renouer avec son ex Claire à sa sortie de prison, mais une gamique de son ami Zach, toujours en prison, l’oblige à repousser ses plans de vie rangée. Zach veut lui faire payer une dette aux Hell’s Angels avec l’argent qu’il a caché chez sa blonde Shirley, une chanteuse country au talent discutable. Malheureusement pour Bernie, Shirley a déjà utilisé une partie de l’argent pour son disque. Il décide de parier l’argent restant aux courses avec la combine de son amie Mireille qui connait le nom du cheval gagnant…
La présentation des personnages en chansons et monologues est tellement rythmée et punchée, que nous plongeons rapidement dans l’univers de Dalpé. Nous voulons en connaître d’avantage sur ces malchanceux rêvant d’un avenir meilleur: Bernie un voleur blessé et repentant, Zach un dealer sournois, Claire une jeune maman désespérée, Mireille une illuminée et surtout Shirley, la Dolly Parton des pauvres, envieuse des grands du western. Même si l’action principale de la pièce n’est pas claire au départ, les personnages sont assez captivants pour retenir toute notre attention.
L’écriture de Dalpé est fluide et rapide, chaque mot semble calculé pour créer crescendo par-dessus crescendo. Il maitrise très bien l’art du dialogue, il pourrait faire rougir Quentin Tarantino et Woody Allen facilement. L’histoire se construit avec une succession de discussions « banales » qui donne une fois assemblée un tout très original. C’est certain que les acteurs(trices) se sont régalés avec plusieurs de leurs répliques savoureuses. Il n’y a aucune fausse note dans le texte, s’il faut trouver un bémol, le nombre de sacres pourrait choquer quelques oreilles sensibles.
À toute vitesse
Pour donner vie à ces mots brillants, il faut du rythme et de l’émotion et la distribution tout entière en avait. Jean-Michel Déry en Bernie et Lauren Hartley en Claire sont très bons, mais ils se font éclipser par Valérie Laroche (Mireille), Simon Lepage (Zach) et Fréderique Bradet (Shirley). Déry et Hartley sont talentueux, c’est simplement qu’ils incarnent les deux personnages les plus straight de la pièce. Alors que les trois autres se volent à tour de rôle la vedette avec leurs personnages déjantés. Frédérique Bradet est la plus choyée avec le personnage de Shirley, lorsqu’elle pète sa coche au gérant de salle qui a coupé son micro avant qu’elle chante ses trois chansons, la scène est un véritable petit bijou.
Patric Saucier s’est transformé en maestro afin d’être capable de soutenir le rythme et de faire monter le suspense durant toute la pièce. Il a utilisé le décor et les éclairages pour créer un espace vivant où tous les lieux prennent forme aisément. Un monteur au cinéma n’aurait pas pu faire un meilleur enchainement que celui que le metteur en scène nous présente en direct. Grâce au décor et au jeu de lumière, les scènes se bousculent à toute vitesse. Il est impossible d’entrevoir un temps mort dans la pièce, nous sommes sur le bout de notre siège du début à la fin.
Le meilleur en dernier
Une saison théâtrale, c’est comme un repas cinq services dans un grand restaurant, on ne veut pas que ça finisse, mais on a hâte de goûter au dernier plat. En nous servant Lucky Lady en dessert, c’est comme si La Bordée nous servait le plus décadent des gâteaux au chocolat. Patric Saucier avait tous les ingrédients pour faire un plat époustouflant et il a réussi la recette en vrai chef. Il ne reste qu’à espérer que la saison prochaine de La Bordée sera aussi savoureuse que celle-ci. Le dévoilement de la programmation se fera le 23 avril.