En 2022, la pièce de théâtre Disgrâce, premier texte de Nadia Girard Eddahia, remporte le prix du Meilleur texte original et le prix Interprétation féminine (Marie-Ginette Guay dans le rôle de la mère) de l’AQCT. Ce mardi 29 octobre, dans la salle intime à 80 places du Premier Acte à Québec, la pièce fait son grand retour.
Par Léon Bodier, journaliste multimédia
Texte : Nadia Girard Eddahia | Mise en scène : Gabriel Cloutier Tremblay | Conception lumière : Keven Dubois | Conception sonore : Jean-Michel Letendre-Veilleux | Conception costumes : Marie McNicoll | Conception visuelle : Éva-Maude TC | Production : La Trâmée | Distribution : Frédérique Bradet, Gabriel Fournier, Marie-Ginette Guay
« Il n’y a pas de gants blancs. On expose les faits. Directement et brutalement. Disgrâce fesse fort. C’est bien joué, très bien rendu et dans l’air du temps. » – Yves Leclerc, Journal de Québec
En effet, la pièce arrive à la suite de nombreuses autres œuvres qui ont submergé nos pages, scènes et écrans depuis l’explosion du mouvement #MeToo à l’international en 2017. Alors pourquoi celle-ci revient-elle au théâtre deux ans après sa première parution et 10 ans après les faits dont elle s’inspire (conditions de libération de Jian Ghomeshi) ? Se déroulant à huis clos dans la maison d’un accusé attendant son procès, la représentation semble suivre un autre trend ayant récemment pris le devant des plateformes médiatiques. En commençant par The Act (Hulu, 2019), jusqu’à la récente sortie de Monsters : The Lyle and Erik Menendez Story en septembre sur Netflix, le point de vue de l’agresseur intrigue et fascine le public.
« Le chemin de Disgrâce s’impose comme une longue descente, entre l’image médiatique et l’intimité ; entre la sexualité et la violence ; entre la force et le contrôle. » – Disgrâce (reprise), Dossier de Presse
Dans son livre Triste Tigre, Neige Sinno interroge l’utilité de raconter ses traumatismes au cours du processus de guérison suivant une agression. Dans un élan étrangement inverse, Disgrâce discute de la mise en discours d’un accusé. Une amie me répète souvent « l’Humain est un être de récits » ; un dicton qui est resté avec moi depuis et me guide au long de mes études en narratologie. Dans un monde submergé par les médias, celui-ci semble encore plus valable alors que les réseaux sociaux permettent à chacun.e de contextualiser et historiciser sa vie en temps réel ; emballé, c’est pesé ! Ce sont les dialogues entre un gaslighter journaliste de profession et une avocate à la défense formée dans l’art de la persuasion qui montre parfaitement comment, aujourd’hui, nous faisons sens de nos traumas par le biais de constructions narratives. Une distorsion entre « l’image médiatique et l’intimité » que la pièce rend inconfortablement évidente ; objets du quotidien exposés sur des présentoirs de musées au-devant de la scène pendant les échanges entre les personnages.
« Tes bruits de machine, ton tapis, toi qui respires, ça ressemble à des grognements. Je veux plus entendre ça. J’ai l’impression qu’il y a un monstre qui vit dans mon sous-sol. » – La mère
Ainsi, ce qui touche le plus, c’est le personnage de la mère, qui ne connaît que ces amies du comptoir, ne vivant le monde que de manière organique ; je crois ce que je vois ! Brutalisée par la vidéo pornographique violente de son fils qu’elle découvre sur son ordinateur, elle n’arrive alors plus à réconcilier le récit qu’elle s’était fait de lui avec l’image devant elle. Sûrement le moment le plus émouvant de la pièce, l’actrice performe avec brio ce trouble émotionnel inconciliable. La scénographie en petit comité, rendu claustrophobe par le plafond bas et les bruits de scène obscène en fond sonore, souligne avec brio l’angoisse palpable d’une mère qui a perdu le sens de son monde, du monde.