Diversité dans les festivals : pleins feux sur Tadoussac

Depuis quelques semaines, voire depuis quelques mois déjà tombent et retombent les programmations de nombreux festivals de l’été, des têtes d’affiche internationales à nos artistes émergent.es tellement différent.es mais ô combien rafraîchissant.es, de Tadoussac à Val d’Or, de Saint-Jean-Bat à Limoilou. Une chose est sûre : ces programmations ne font pas l’unanimité, remâchées puis recrachées avec amertume sur les réseaux sociaux par un public critique et affamé qui en a vu plus d’une, et qui n’a que faire des passes revendues quatre fois le prix sur marketplace, ni des excuses bidons des programmateur.rices, qui, dans tous les cas, les vendront, ces 20 000 quelques billets. Et on les comprend, ces festivalier.ères, parce qu’effectivement, certains line up mériteraient, avec raison, de sérieux remaniements. Question d’originalité, de tendances de l’heure, de goûts personnels, de nostalgie ? Oui, peut-être. Mais à voir quelques-unes des programmations annoncées et l’insatisfaction généralisée dans mon entourage, c’est aussi un problème de diversité. Et pourtant ! La talle est vaste, riche, impatiente et pétillante : suffit de tendre l’oreille pour en entendre les frénésies, les crépitements. 

Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), journaliste multiplateforme

Le Festival de la chanson de Tadoussac : exemplaire et inspirant

Justement pour parler de la place des femmes dans les festivals, je me suis plus spécifiquement intéressée à cette 40e édition du Festival de la chanson de Tadoussac, qui aura lieu des 13 au 16 juin prochain, et dont la programmation tout comme l’organisation reflète un sincère souci de diversité plus largement. Je me suis donc entretenue, ce printemps, avec Myriam Sénéchal, directrice générale, et Anne-Christine Guy, directrice de la programmation, qui avait déjà été impliquée auprès du festival auparavant. « Ce sont des nouveaux défis pour nous deux cette année », me dit Anne-Christine.

Notons, par ailleurs, que Myriam est la première femme à occuper le poste de direction générale, ce qui signifie que ça aura quand même pris 39 éditions avant de voir quelqu’un d’autre qu’un homme porter ce chapeau : « C’est sûr que c’est cool. Je suis contente d’être la première femme à obtenir ce rôle. Ça montre un peu où on est rendu en tant que société. Je pense qu’on est rendu à ce que les femmes occupent des postes de pouvoir. Mais c’est un pouvoir minime, dans le sens où on travaille vraiment toutes en équipe. »

Autre détail important : l’équipe du festival, à l’exception des bénévoles, collaborateur.rices et membres du conseil d’administration, est 100% féminine, ce qui n’est pas rien, considérant que le milieu et l’industrie de la musique est, et c’est peu dire, une sorte de boys club. Cette dernière ajoute en ce sens que « de pouvoir travailler juste avec des femmes motivées, dynamiques, brillantes, c’est vraiment le fun. Je ne sais pas si c’est le fait qu’on soit seulement des femmes, ou si c’est aussi parce qu’on s’entend bien, mais c’est le fun, c’est facile, c’est bienveillant, la communication est fluide, on partage une vision similaire du festival. C’est agréable, même si je n’ai pas vraiment de comparatifs, ayant principalement travaillé avec des femmes !», précise Myriam. « Je pense que ça parait aussi dans notre quotidien et dans ce qu’on dépeint au festival. C’est super important pour nous d’avoir une programmation paritaire, et c’est peut-être justement parce qu’on est seulement des femmes, aussi. On veut pousser ça, et le mettre de l’avant dans notre manière de travailler. On représente le changement, et il était temps qu’il arrive.»

La programmation: parlons-en. Toute l’équipe a de quoi en être fière, et c’est particulièrement vrai pour Anne-Christine, qui confirme, elle aussi, que cette question de la représentativité, c’était quelque chose qui lui venait un peu naturellement : « En tant que femme, j’ai toujours été très intéressée par des projets féminins et diversifiés. Je pense qu’on s’intéresse aussi souvent à des choses qui nous représentent. Ça a toujours été présent à la base dans mes intérêts personnels, et ça a donc nécessairement un impact sur mes choix de programmation. C’était super important pour moi qu’on ait une programmation qui soit diversifiée. Mais c’est aussi une volonté de l’équipe.»

Lorsque je lui ai demandé si elle trouvait difficile de conjuguer ce désir d’inclusion au sein de la programmation à tous les autres facteurs et bon nombre d’exigences logistiques qu’impose la préparation d’un festival de telle envergure, Anne-Christine me répond à la négative : « Non, je n’ai pas trouvé ça particulièrement difficile. On entend souvent que c’est un défi de faire une programmation paritaire. Et oui, je pense qu’il pourrait y avoir encore plus de représentativité dans la programmation, notamment par rapport à différents groupes ethniques et aux personnes racisées. J’ai moi aussi des choses à apprendre. Mais d’avoir des femmes dans la programmation, ça n’a pas été compliqué.»

Mais ce n’est pas tout, puisque par-delà les listes, elle s’est en plus donné le défi d’avoir des femmes en tête d’affiche : « On voit souvent des programmations paritaires, mais les femmes font seulement partie des artistes découvertes, par exemple. C’est cool qu’on donne une chance à ces femmes-là, mais elles peuvent aussi être en tête d’affiche. Même dans la question des ventes, j’ai déjà entendu des gens dire que c’est difficile de mettre des femmes en tête d’affiche, parce que ça ne vend pas. Pourtant, quand je regarde les dernières années, les spectacles qui ont vendu le plus, ce sont des spectacles de femmes. Ce sont des idées préconçues qui nous bloquent plus que la  »vraie » réalité. »

Et elle n’a pas du tout tort. Ce qui se cache derrière notre insatisfaction en tant que festivalier.ères, en vérité, ce sont ces quelques pommes pourries qui, si elles ne sont pas épidémiques – et heureusement ! – , trouvent le moyen d’accaparer toute l’attention, et pas pour les bonnes raisons.  On se souviendra par exemple, il n’y a vraiment pas si longtemps, du festival Cigale, pour ne pas le nommer. Des hommes, partout des hommes : sont-ils à ce point indispensables (indice : non, absolument pas) ? Et on nous sort toujours cette même excuse mollasse et fatiguée : c’est que les non hommes-cis-hétéro-blancs sont apparemment très très trèèèèèèèès difficiles à trouver. Ce à quoi nous répondrons, en soupirant bien fort tout en roulant des yeux : oui, mais non. Au plus grand plaisir des amateur.rices et mélomanes de tous horizons, les festivals comme ceux de Tadoussac sont là pour nous montrer que c’est possible…non seulement possible, mais pas si difficile, si, vraiment, on s’y met, mais aussi et surtout si la démarche est sincère. Et on est là pour les faire rayonner, autant que possible.

« Je le vois que dans le milieu de la diffusion, il y a beaucoup d’hommes, plus vieux, etc. C’est sûr que nos choix sont différents de ceux de nos homologues masculins diffuseurs et dans les salles. On a une plus grande sensibilité, je pense, par rapport aux artistes qu’on book, mais aussi par rapport aux artistes qu’on ne book pas. Oui, il y a une part de ça qui est  »miliante », mais on ne se déclare pas un festival militant ou féministe. C’est surtout que nos valeurs en viennent nécessairement à se refléter dans nos choix », précise Myriam. Elle donne, au contraire, l’exemple de la compagnie de théâtre les Béloufilles, qui a fait le choix conscient de seulement présenter, sur scène comme dans ses équipes mêmes, des femmes et des personnes de la diversité de genre, militantisme féminisme ici pleinement assumé. Tadoussac n’est certes pas un festival autoproclamé féministe, mais la variété présentée, c’est un méchant beau bonus, effort pour lequel on est reconnaissant.e et qui vaut la peine d’être salué, mis en lumière.

Mais encore

Malgré tout, il vaudrait sans aucun doute la peine de redoubler d’efforts pour inclure davantage de personnes issues de la diversité, quelle qu’elle soit, dans les programmations des festivals, sur nos scènes, à la radio et dans nos écouteurs. La semaine dernière, Radio-Canada publiait à ce sujet un article concernant la sous-représentation des femmes dans les listes d’écoute des radios, et ce, de manière encore plus marquée pour les femmes racisées et les personnes issues de la diversité de genre : « Bien qu’il y ait eu une augmentation de la programmation pour les chansons de femmes dans tous les formats de radio l’année dernière, l’étude indique qu’il est trop tôt pour dire s’il ne s’agit que d’une amélioration temporaire. Les femmes étaient les moins représentées sur les stations de rock, en particulier de hard rock, où elles n’ont reçu que 1,9 % de diffusion en moyenne en 2023, soit une chanson par bloc de programmation de quatre à cinq heures. Parmi les chansons phares des radios country, les femmes étaient diffusées 12,8 % du temps, soit deux chansons par heure. Dans trois formats orientés vers la pop – Top 40, contemporain adulte grand public et contemporain adulte en vogue –, les chansons composées par des femmes représentaient un tiers de la musique. La plupart d’entre elles étaient des femmes blanches, selon l’étude, les femmes de couleur représentant 6,5 % des artistes joués. »

Ainsi, malgré tout le chemin parcouru, il ne faudrait pas trop vite s’asseoir sur nos lauriers. Et bien que l’on puisse constater plus d’efforts dans nos festivals et nos salles de spectacles, toustes n’ont visiblement pas en tête ces mêmes objectifs de parité. Il me semble, pourtant, que ce ne soit pas si sorcier, et Myriam, le résume bien : « C’est juste d’ouvrir les yeux, d’être à l’affût ! Évidemment, ce n’est pas le cheval de bataille de tout le monde, mais s’ils ne  »peuvent » par le faire, c’est qu’ils ne veulent pas le faire. » Il faut faire attention, toutefois, de ne pas se laisser hameçonner par la pression de la représentativité, puisque l’objectif, c’est aussi d’éviter de perpétuer toute forme de tokénisme, qu’on appelle aussi diversité de façade. Après tout, comme Anne-Christine le mentionne, « on n’est pas là parce qu’on est des femmes, mais parce qu’on avait les compétences pour le faire », et c’est la même chose pour les artistes.

En discutant plus amplement avec elle, elle me fait aussi réaliser que même si on ne peut forcer personne à le faire, être inclusif.ve, ce n’est pas juste une question de programmation : c’est tout ce qui touche de près ou de loin l’organisation et la tenue des festivals. « L’effort, parfois, c’est plus que de booker sur la programmation. C’est être prêt à recevoir et accueillir les artistes, de s’assurer qu’on a des lieux sécuritaires, etc. Tu peux book un.e artiste de la communauté LGBTQIA2+, mais si finalement ton milieu est hyper sexiste et que ce n’est pas sécuritaire pour cet.te artiste là, ce n’est peut-être pas mieux non plus. Il faut préparer nos milieux à recevoir ces personnes, et ça dépasse vraiment la notion de booking. » Et Tadoussac, c’est aussi ça : un espace où il fait bon être, tripper, partager et, à titre de journaliste, collaborer et travailler. Ça, ça ne s’achète pas.

Si vous souhaitez en apprendre davantage sur cette 40e édition du festival, mes collègues de CHYZ 94,3 ont réalisé une émission spéciale lors du dévoilement de la programmation, en avril dernier. Entrevues, performance en direct, tout y est !

Pour la suite

S’il me fait plaisir de mépriser à mon tour certains programmateurs, je ne m’épancherai pas davantage sur le sujet. Un paragraphe, c’est bien en masse.  Cet article se veut surtout une occasion de détourner l’attention afin de proposer des initiatives musicales dont la démarche, la gestion et/ou la programmation, dans toute leur splendeur et leur variété, risquent de vous intéresser et, avant toute chose, de vous faire passer un excellent moment. On note, rapidement (et cette liste n’est absolument pas exhaustive) :

  • La Fête de la musique de Québec, ces 14, 15 et 16 juin. Vous aurez entre autres la chance d’y voir Banjax Brigade, Huriel, STAIRS, Louis-Charles, Ophélie Gagnon, Claudia Thom, Mona B, MILANDREA, Clara Dahlie, Ultra Violette, DVTR, Adieu Narcisse, Sara et Rebecca, Fleur de Peau, Mélina Lequy et Érika Hagen ;
  • Le Festival OFF de Québec, du 11 au 14 juillet, des artistes tel.les Em Pompa, Anyma, Mykalle, Hawa B, maude.elle, worry, Clara Dahlie, Annie-Claude Deschêne, Ensemble Afrovibes, La Ola et Ariane Sousa ;
  • La Noce, du 4 au 6 juillet, avec, notamment, Laurence-Anne, Rau_Ze, Hawa B, DVTR, Le couleur, Elisapie, BAIE, King Hannah, Son Rompe Pera, Lysandre, Mike Shabb, Moonshine, claire rousay, Le Belladone, Le Roy, la Rose et le Lou(p), Helena Deland, Violent Ground, Baby Volcano, Douance, Soleil Launière, N NAO, High Klassified, Cadence Weapon et Sheenah Ko ;
  • Le FRIMAT, Festival de la relève indépendante musicale en Abitibi-Témiscamingue, du 25 au 27 juillet. Vous y trouverez des artistes tel.les Soraï, Poubelle Mystique, Les soeurs Boulay, LeBlaze, Lost, Lydia Képinski, Tamara Weber, oui merci et N NAO ;
  • Mais aussi, des initiatives comme le site Les Gueuleuses, un « répertoire des chanteuses qui scream, growl, fry, de toutes origines, époques et genres musicaux », et feu la page Facebook Mise à jour sur la présence de femmes dans les festivals qui, si elle n’est plus active par manque de ressources, a assurément déjà assez proposé d’artistes au féminin, si vous avez le temps et l’envie de vous y égarer.

N’hésitez pas à nous en partarger davantage ! Voici, pour bien conclure cet article, une entrevue (toujours à CHYZ 94,3 !) réalisée par Noémie Fontaine avec, justement, les Gueuleuses ! Bonne écoute !

 

 

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