C’est sans doute l’un des amalgames les plus répandus de notre époque. On réfère sans cesse à la sphère scolaire par l’expression « milieu de l’éducation ». Il est vrai que la mission de l’école est, entre autres, éducative. Mais la généralisation de l’expression nous a lentement dirigés vers un oubli collectif de la mission scolaire la plus élémentaire : celle d’instruire. D’ailleurs, au Québec, le ministre de l’Éducation est chargé de l’application de… la Loi sur l’instruction publique. L’oubli de cette nuance fondamentale nous a conduits à oublier une autre chose : éduquer nos enfants est une mission collective qui débute bien avant l’entrée à l’école. On dit en Afrique qu’il faut tout un village pour élever un enfant. L’école n’est qu’un villageois parmi les autres.
L’école : un acteur secondaire de l’éducation véritable
La tendance à vouloir faire de l’école un milieu éducatif nous a effectivement conduits à oublier que l’éducation d’un enfant commence au sein du nid familial. Avant que n’y concoure l’école, la collectivité y contribue à travers bien d’autres acteurs que représentent la parenté, la communauté religieuse et culturelle dont est issu le jeune, les médias, etc. L’éducation reçue dans les premières années de la vie — celles qui précèdent l’âge scolaire — laisse des marques indélébiles dans l’identité qu’un individu portera tout au long de sa vie. C’est à travers l’éducation familiale que se forge d’abord la sensibilité d’un individu. Or, c’est cette sensibilité — au sens large du terme — qui détermine le rapport qu’entretiendra un individu avec la société dans laquelle il évoluera une fois adulte. L’enfant construit au sein de sa famille sa propre manière d’appréhender le monde. C’est d’abord à travers ses interactions avec ses parents, grands-parents, frères et sœurs que se construit son échelle de valeurs. C’est donc par les petits gestes qui enseignent le partage et la conscience de l’autre que se forme la vision du monde que portera un individu toute sa vie.
En effet, ce n’est pas l’instruction qui rend sensible aux problèmes collectifs.
L’éducation est élévation
C’est ainsi que d’un côté, il y a des gens hautement instruits et maintes fois diplômés qui, malgré une assez bonne compréhension du monde, décideront d’orienter leur carrière dans des domaines ne visant, par exemple, que l’accumulation de richesses par le biais de la spéculation et de la (sur)exploitation des ressources, tant naturelles qu’humaines. La connaissance qu’ils ont des problèmes du monde n’est pas suffisante pour qu’ils se laissent toucher par lesdits problèmes et se sentent appelés à les solutionner par leurs actes.
D’un autre côté, il y a des gens peu instruits, certes, mais bien éduqués. Sensibles à autrui. On dit d’ailleurs d’un enfant bien éduqué qu’il est « bien élevé ». Et c’est précisément en cela que devrait résider l’essentiel de l’éducation : l’élévation de l’esprit. Le désir d’élévation de l’esprit, sorte de volonté noble acquise bien avant les premières années d’école, est la pierre angulaire des décisions importantes que prendra un individu dans sa vie.
Voilà peut-être pourquoi certaines personnes, pourtant opposées par leurs couleurs politiques, parviennent à former un couple ou à devenir amies. Car on ne choisit pas ses proches en fonction du regard qu’on porte sur le monde, mais plutôt en fonction de la vision — de l’idéal — qu’on en partage. Cette nuance est fondamentale. La vision du monde commence à se forger dès le premier câlin, dès les premiers instants de tendresse qu’un enfant a la chance de vivre (ou non) en venant au monde. Ces instants ainsi que ce qu’un enfant ressentira au sein de sa famille façonnent l’individu en son fort et bâtissent sa vision du monde.
En fonction du milieu social duquel il est issu, l’enfant aura peut-être la chance de fréquenter de bonnes écoles; mais peut-être décrochera-t-il avant d’obtenir son diplôme d’études secondaires. Peut-être aura-t-il même la chance d’aller à l’université; alors son regard sur le monde changera au fil de la compréhension qu’il en aura. Mais sa façon d’aborder les problèmes qu’il découvrira par l’instruction, elle, demeurera inchangée. Il y sera ou non sensible.
Ainsi, on peut à la fois partager une vision du monde similaire en tous points et voter pour des formations politiques aux positions diamétralement opposées, puisque le choix politique s’oriente en bonne partie en fonction des outils (en l’occurrence, l’instruction) qu’on a pour comprendre enjeux sociétaux. Or, la connaissance des problèmes sociétaux est indépendante de notre capacité à leur être sensible.
L’éducation (la vraie), pilier de l’altruisme
Si on récapitule, « éducation » n’est en rien un synonyme plus à la mode de « instruction ». S’il faut garder une chose à l’esprit : l’élévation et l’éducation passent avant tout par la tendresse et l’enseignement de la conscience altruiste. L’école ne peut pas, à elle seule, jouer ce rôle. Alors par nos actes, en élevant les enfants de notre village un sourire à la fois, nous pourrons éventuellement changer le monde.