Vous vous demandez si Alain Beaulieu a perdu la tête? On vous assure ici que non. Son tout nouveau roman, Le festin de Salomé, a beau emprunter son titre à l’histoire d’une petite princesse, un peu désaxée, qui demande au roi la tête d’un homme en échange d’une danse sensuelle, ce n’est en rien le sujet du roman ici concerné.
Vous voilà rassurés? Mieux vaudrait pas… Écrivain reconnu de notre Belle province pour ses romans sérieux, aux personnages à demi souverainistes qui se brouillent dans la politique d’une époque révolue, mais jamais totalement, il est peu dire que Beaulieu attaque cette fois un tout nouveau genre d’écriture.
Sourire aux lèvres, il explique – comme le peut tout écrivain à propos de son dernier bébé sur le point de sortir – que ce petit dernier est le fruit d’un seul grand jet produit en quatre mois bien investis. Cinq très longs paragraphes, voilà ce qu’était le premier visage de cette histoire délirante où, malgré l’ajout de nombreux chapitres bien explicites, réside du délire à profusion. Autofictif, intemporel, brouillage des pistes, altérité identitaire, trous de mémoire : en voulez-vous? En v’là!
Beaulieu vous rassure tout de même : « il ne s’agit pas de ma vie, ni de celle de mes proches. En fait, quoi qu’il en paraisse, ce roman n’est pas plus ou moins autofictif que les autres. J’y ai seulement exploité plus concrètement mon personnage d’alter ego. » P.-S. Pour les habitués, non, il ne s’agit pas d’une autre histoire de son personnage écrivain, Sammy Martel, sympathique protagoniste du Joueur de quilles…
Pour les autres, il faut savoir qu’Alain Beaulieu s’est tout d’abord fait connaître pour l’appropriation de la ville de Québec dans ses premiers romans, mais que depuis peu, l’écrivain aura délaissé la Vieille-Capitale pour s’évader au chaud de l’Amérique centrale, dans Le Postier Passila, revenant par les États-Unis avec Quelque part en Amérique pour nous retontir finalement en 2014, surprise surprise, dans cette bonne vieille Basse-Ville de Québec.
Un retour bref, nous précise l’auteur, qui sans vraiment l’expliquer, se sent aussi, sinon plus démuni dans ce lieu plus qu’exploité. « Je ne nie pas avoir fui, de manière ‟créative″, la ville qui a vu naître mes premières grandes inspirations, au contraire. Y revenir, c’est comme enfiler de nouveau une vieille paire de pantoufles. Or j’arrive pas à m’y sentir confortable alors, un nouveau ‟départ″ est imminent, c’est certain. »
Pourtant, fidèle à son style, l’auteur sait nous surprendre là où s’en entendrait le moins. Lancés malgré nous dans une enquête identitaire masquée, déjouée, d’une simplicité et d’une profondeur alarmante, cette nouvelle histoire aborde toutes ces fois dans notre vie où on a dit non, plutôt que oui, vice-versa, et la possibilité de reprendre ces choix, ou pas.
Une œuvre littéraire qui prouve son génie dans l’espace offert au lecteur qui accepte d’y laisser des plumes et le flottement réflexif qui s’y rattache bien après les dernières pages. Alain Beaulieu peut être fier de ce qu’il appelle ouvertement son petit défi personnel non prémédité : « Parce qu’il est des choses qu’on ne peut pas raconter à vingt-cinq ans, des réflexions sur le temps qui passe et les morceaux temporels qui s’effritent, inévitablement » et qui le rattrapèrent cette fois, dans ce qu’on pourrait décrire comme un trip cérébral à vous bourrer la tête.
Il s’agit donc d’un labyrinthe littéraire impressionnant, où se construit puis s’échappe d’un tournant à un autre cette désillusion générale d’un « moi » inaccessible, même devant l’altérité. Un roman qui pousse un peu plus loin ce que veut réellement dire « être québécois ».
Quoi? Le festin de Salomé, Éditions Druide (Lancement)
Qui? Alain Beaulieu
Où? Salons d’Edgar
Quand? 26 mars de 17h @ 19h