Présenté l’an dernier au TIFF, I Like Movies est le premier long-métrage de la réalisatrice et journaliste canadienne Chandler Levack. Situé au début des années 2000, on y suit un garçon de dix-sept ans, Lawrence, un jeune torontois qui aime les films comme il respire, dit-il lors d’une entrevue pour devenir commis au Sequels, le SuperClub Vidéotron de l’univers filmique. Sur son nouveau lieu de travail, il se lie d’amitié avec la gérante, Alana, qui le fait sortir de son cocon, sans toutefois réussir à faire de lui un adolescent plus agréable.
Par Ève Nadeau, journaliste collaboratrice
Titre original : I Like Movies | Genre : comédie dramatique | Durée : 99 minutes | Réalisation et scénario : Chandler Levack | Distribution : Isaiah Lehtinen, Krista Bridges, Romina d’Ugo, Percy Hynes White | Production : Lindsay Blair Goeldner
Pour se déplacer au dépanneur le plus proche d’où j’ai grandi, il fallait se rendre au village, celui de St-Méthode (oui, le pain). Ma mère, pour nous faire plaisir à mon frère et moi, faisait un détour vers le petit club vidéo – le seul du village – situé dans le sous-sol de la maison d’une dame sympathique. Chaque fois, je repartais avec une boîte de Smarties et une cassette VHS. On était en 2006, peut-être en 2007. Mon frère et moi trippions sur les films des jumelles Olsen, mais surtout sur les films d’horreur. Après un certain temps, tel.les les habitué.es que nous étions, nous pouvions entrer sans notre mère, et la proprio nous laissait choisir un film dans le genre de Saw, en faisant bien sûr abstraction de la politique 18 ans et plus.
Ce lieu n’a pas perduré. Éventuellement, c’est le dep du village qui a pris le relais, proposant la location de DVDs qui eux remplaçaient progressivement les VHS. Ensuite, ma mère a découvert le Canal Indigo, le service de télévision à la carte qui nous permettait de louer et acheter des films. Elle enregistrait sur cassette – plus tard sur DVD – tout ce qui nous paraissait palpitant. Mon visionnement d’I Like Movies a rembobiné le temps, m’a ramenée à ces vieilles habitudes cinéphiliques qui seraient toutes autant évocatrices pour Lawrence (Isaiah Lehtinen), cinéphile et fanboy ultime.
Je l’avoue, ce film a été pour moi – et pour plusieurs je l’imagine – un trip nostalgique qui rappelle les meilleurs coming-of-age des années 2000 se déroulant dans de petites municipalités américaine ou canadiennes (pensons à Ghost World (2001), Whip It (2009) et même Donnie Darko (2001), mais plus drôle et sans le lapin imaginaire creepy). Le protagoniste, Lawrence, est l’adolescent typique de ce genre de film, celui qui n’interagit pas bien socialement et qui n’a qu’un seul meilleur ami avec qui il regarde religieusement SNL chaque samedi soir. Il faut aussi mentionner qu’il a des « problèmes émotionnels » liés à la mort de son père, dont il profite pour attirer la pitié de son entourage. Je le souligne immédiatement : comme personnage principal, il est désagréable.
Awkward en présence d’autrui, certes, mais surtout narcissique et insensible aux problèmes extérieurs, Lawrence ne maîtrise qu’un seul sujet : le cinéma. En 2002, tout ce qu’il attend c’est foutre le camp de sa petite municipalité de Burlington pour aller étudier à la fameuse NYU, l’université new-yorkaise où tous ses réalisateurs préférés sont allés et où il pourrait tourner en 16mm. Ou encore la sortie du nouveau PTA mettant en scène Adam Sandler. Il joue le presque-adulte qui trouve sa vie ennuyante, comme si rien ni personne n’était à sa hauteur, même pas le club vidéo où il se déniche un emploi comme commis.
Nouvellement admis sur le marché du travail, notre Lawrence réalise assez vite que travailler dans une boutique qui loue et vend des films oblige, entre autres, à passer un shift complet à devoir conseiller un Shrek remasterisé fraîchement sorti en DVD, œuvre qui, à ses yeux, n’est pas « du vrai cinéma » (j’ai presque crié en l’entendant dire ça, car Shrek 2 fait à jamais partie de mon panthéon personnel). En effet, Lawrence préfère s’adonner à la composition d’une étagère « staff pick » remplie de ses films nichés favoris – et je le comprends, pour avoir fait de même lorsque j’étais disquaire et plus tard libraire.
Somme toute, le comportement du fanboy arrogant qu’incarne Lawrence (en quelque sorte la version adolescente du protagoniste d’High Fidelity (2000) ou le genre de gars que tu risques de croiser dans ton cours d’introduction au langage cinématographique) n’a pas teinté mon appréciation globale du film. Une part de moi s’est identifiée à lui, que ce soit en raison de mon envie constante de citer mes scènes de films préférées, comme Lawrence, rempli d’excitation, qui décrit la scène iconique de Punch Drunk Love où les deux protagonistes s’embrassent mais où ne voit que leurs ombres qui s’enlacent. Ou encore en raison de mes yeux brillants, dans la salle de cinéma, qui ne font que s’émerveiller devant les bandes-annonces, le programme principal n’ayant même pas débuté.
Dignes de mention, les personnages secondaires ont beaucoup influencé mon plaisir de visionnement. Je pense entre autres à Alana (Romina D’Ugo), l’employeuse plus âgée, généreuse mais rigoureuse, avec qui Lawrence échange plusieurs anecdotes malgré ses difficultés à socialiser, ou encore à sa mère (Krista Bridges) qui croit en lui, le soutient dans ses ambitions et lui rappelle, d’une voix réconfortante, de prendre de grandes respirations lors d’une crise de panique. J’aurais souhaité que ces personnages aient plus de temps d’écran, en particulier les autres employés du Sequels dont le potentiel humoristique est resté inexploité.
Finalement, mention spéciale à la mélodieuse bande-sonore composée par Murray A. Lightburn qui rappelle d’autres coming-of-age mémorables tels que Submarine (2010) ou encore le jeu vidéo Life Is Strange (2015), dans le style « guitare acoustique et petit piano mélancoliques mais pleins d’espoir pour nos jeunes hipsters ». Parce qu’il y a du beau à faire ressortir : lors d’une scène touchante où Lawrence est particulièrement vulnérable, ce dernier dit que l’un des plus beaux compliments que l’on puisse faire à un.e réalisateur.ice c’est lui avouer que son film nous a « émotionnellement touché ». J’ai envie, pour terminer, d’offrir exactement ces paroles à Chandler Levack.