Krˆyer Peter Severin (1851-1909). Paris, musÈe d'Orsay. RF1977-204.

In ballast to the white sea – Redécouverte d’un Paradis perdu

À la simple évocation du nom de Malcolm Lowry résonne celui de son roman le plus célèbre : Under the volcano, et pourtant, il demeure une figure obscure loin d’être aussi connue que ses contemporains Joseph Conrad ou James Joyce.

Par Camille Sainson, journaliste multi-plateforme

Écrivain qui semble tout droit sorti d’un livre de Kerouac ou de Bukowski, Lowry fait partie de cette génération désenchantée de la première moitié du XXe siècle qui voit se succéder deux guerres mondiales ponctuées de plusieurs guerres civiles. Alors qu’il sombre lentement dans l’alcoolisme, son œuvre est rythmée par des manuscrits volés, des incendies dévastateurs et une multitude de mots, de phrases et de chapitres entiers réduits en cendres. Si Under the volcano parvient à être publié du vivant de son auteur, ses autres romans le seront souvent à titre posthume, notamment celui qui nous intéresse aujourd’hui ; In ballast to the white sea.

« Dis donc, est-ce que par hasard tu pourrais m’emmener en mer ? Il y a de plus en plus de gens, moi inclus, qui veulent retourner à cet élément – même en en supprimant la part du feu ! – de plus en plus d’explorateurs incapables d’explorer, de pauvres créatures qui meurent d’envie d’aller en enfer. » (Lowry, 2015, p. 52)

1944. Un feu ravage la cabane occupée par Malcolm Lowry et sa deuxième femme alors établis en Colombie-Britannique. In ballast to the white sea devait être le troisième tome d’une trilogie à l’image de la Divine Comédie dantesque, Paradis ironiquement dévoré par les flammes. Un millier de pages. Neuf années d’écriture. Disparues. Seul Under the volcano échappe à la destruction.

Il faudra attendre les années 2000 pour que la première femme de Malcolm Lowry, Jan Gabrial, annonce avoir conservé une copie du manuscrit. Il est alors remis à la New York Public Library et sera finalement publié en 2014 par les Presses de l’Université d’Ottawa.

« J’avoue que c’est ce que j’imaginais lorsque j’étais en mer. Et aussi que l’âme mourait comme un marin solitaire qui rend là son dernier soupir, comme une vague qui vient se briser pour la dernière fois sans qu’on l’entende ni qu’on la revoie jamais. La mort véritable. C’est effrayant. » (Lowry, 2015, p. 200)

Nous pouvons dès lors suivre les aventures de Sigbjørn, étudiant à Cambridge qui ne rêve que de reprendre la mer. Miroir presque autobiographique des jeunes années de Lowry, son personnage cumule les drames familiaux, a un penchant pour la boisson et souhaite devenir écrivain. Appel du large et d’un idéal, écriture moderne qui découpe au scalpel les états d’âme de Sigbjørn pour les exposer aux ravages de l’eau salée et dilution de son identité dans un « stream of consciousness » presque joycien, In ballast to the white sea permet de redécouvrir une figure incontournable de la littérature anglaise et de tisser un lien entre ses œuvres. Métaphores et références s’y succèdent pour brosser le portrait d’un homme en quête de soi dans une tentative désespérée d’échapper à son autodestruction.

Finalement, le roman se clôture sur l’accès à la connaissance, sur un instant de paix intérieure pour notre personnage, instant bercé par le doux bruit des vagues qui viennent lécher son âme.

 

Références

Lowry, Malcolm. (2015). Le voyage infini vers la mer blanche, traduit par Martine De Clercq. Points.

Crédit photo : Peder Severin Kröyer, Bateaux de pêche, 1884.

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