Crédits photo Alain Monot

La Messe de l’Âne – Coup de circuit pour La Rotonde

Présentée ces 12 et 13 octobre par La Rotonde au Théâtre Périscope, La Messe de l’Âne allie danse et sculpture, corps et matière. Pour cette première représentation à Québec, ce jeudi soir, les artistes se sont d’ailleurs retrouvé.es face à une salle comble, gage de l’intérêt suscité par cette production hors du commun (de la meilleure manière possible, je vous assure). Les spectateur.rices ont, à la toute fin, eu droit à une rencontre avec Olivier de Sagazan afin de discuter de sa démarche et de ses inspirations, moment nous permettant d’encore mieux se saisir de cette performance hybride et ma foi porteuse d’images marquantes.

Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), cheffe de pupitre aux arts

Direction : Olivier de Sagazan | Assistance à la direction : Anas Sareen | Interprétation : Olivier de Sagazan. Maureen Bator, Borna Babic, Shirley Niclais, Stéphanie Sant, Elé Madell | Production : Ipsul 

 

La chair du monde

Possédant d’abord et avant tout un bagage en peinture et en sculpture, Olivier de Sagazan incorpore l’argile à ses tableaux, dont la ductilité n’est pas sans rappeler celle de la chair. Permettant des transformations rapides, c’est la plasticité des corps et l’unicité avec le monde qui sont mises à l’épreuve, limites sans cesse repoussées et brouillant les frontières entre la chair et la terre, réitérant cette idée selon laquelle « le monde n’est pas une matière inerte. » Si la danse et le mouvement rendent possible cette pleine incarnation du corps, sa malléabilité, par la fusion entre l’argile et la terre, nous fait remettre en question nos conceptions et nos rapports traditionnels à la corporalité, justement parce que ces corps sont les nôtres, parce qu’on les habite et qu’il est difficile de se les imaginer si malléables, toutes considérations émotionnelles mises de côté.

C’est justement ce que cherche à faire Olivier, qui tente par ses propres moyens à « faire des images qui nous sortent de notre confort », et ce, dans une tentative « de nous défenestrer de la banalisation du quotidien, de nous surprendre et de nous montrer l’absurdité de la condition humaine.» Ces déformations, c’est « restaurer une forme de virginité par rapport au monde et à l’habitude, se regarder tel que l’on est», quitte à ce que ce soit dérangeant ou parfois même un peu sinistre. On est dans la monstration, à la fois dans la monstruosité et la banalité, et sans que cela ne soit horrifique (quoique), c’est ce qui fait la beauté de la proposition, la rend si frappante. J’en ai été ravie.

Plus encore, c’est également par les corps et leur musicalité que s’installe le rythme du spectacle et se met en place l’ambiance, notamment par la répétition et la synchronicité, le souffle, les clapotis de l’argile et de l’eau et la part de chaos provenant de la marge d’improvisation des manipulations. Si les aperçus vidéos pouvaient d’emblée laisser croire à quelque chose de choquant, comme une claque en plein visage, tout de suite, sans échauffement – ce qui, d’une certaine manière, n’est pas totalement faux – la pièce s’assure, par sa construction, de bien nous entraîner avec elle dans sa folie et son hennissement, par un fil narratif et dramatique passant du rire aux larmes. Et puis, sans qu’on s’en rende trop compte, on est totalement hypnotisé.es par les artistes (Mesmer peut aller se rhabiller hein…). S’inspirant tantôt d’une vieille histoire de l’Antiquité, tantôt de nombreux tableaux admirables et symboliques des arts et de notre existence, La Messe de l’Âne nous montre bien comment « nous sommes tour à tour marionnette et marionnettiste. »

 

 

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