Dans La chasse aux autres, Thomas O. St-Pierre réduit les rapports amoureux à leurs plus simples – et viles – constituantes, levant le voile sur les motivations véritables qui animent les jeunes adultes. Ceux-celles-ci ne prennent « rien au pied de la lettre », nous met-on en garde sur la quatrième de couverture. Portrait implacable du marché de l’amour et des logiques qui y régissent les transactions amoureuses et sexuelles.
Thomas O. St-Pierre plante son récit dans la réalité des adultes au carrefour de la trentaine, sa distribution étant composée d’un jeune couple ayant rompu récemment, d’un pick-up artist rédigeant des guides de tourisme sexuel, d’une journaliste et d’un blogueur masculiniste. L’auteur décrit les sparages d’une génération qui se secoue la tête pour éviter que ne se déposent les sédiments de sa conscience – pour éviter de rendre explicites certaines craintes intrinsèques à sa condition de mortel.
L’atomisation des faits et gestes à laquelle s’applique l’auteur éclaire les motivations sous-jacentes aux quêtes quotidiennes des protagonistes, à débuter par celles qui sont menées dans le champ amoureux. Le-la lecteur-rice devient à même d’ausculter sa propre conscience, et de questionner ses agissements. L’effet est désarçonnant.
L’auteur intercale le propos de nombre d’éminents penseurs entre ses chapitres aux formes diverses – courriels, publications Instagram (!), « dialogue cathartique ». Schopenhauer, Kierkegaard, Kundera, Aristophane, le cinéaste Stanley Kubrick, Choderlos de Laclos, Houellebecq, Pascal et Shakespeare jettent ainsi l’éclairage de leur point de vue respectif sur le chassé-croisé des personnages qui peuplent la trame de La chasse aux autres.
De l’ensemble de ces passages, on demeurera marqué par celui de Kundera qui nous renvoie à notre impuissance devant le mur opaque de représentations contre lequel nous nous cognons dans nos efforts pour entrer en contact avec les autres. « Quand Kundera parle dans ses essais littéraires de lever le voile, de déchirer le rideau des interprétations qu’on attribue consensuellement aux comportements humains, il parle d’un travail interminable : il y a trop de rideaux à déchirer, à un point tel qu’on peut raisonnablement douter qu’il se trouve encore quelque chose derrière, que le monde soit autre chose que la superposition infinie de rideaux interprétatifs. »
Un cynisme d’usage
Si son essai Miley Cyrus et les malheureux du siècle paru chez Atelier 10 ce printemps exhortait à l’indulgence et au relativisme envers la jeune génération, force est de constater que Thomas O. St-Pierre fait cette fois-ci dans autre chose. Les motivations, les ramifications de nos moindres gestes sont arrachées de terre, et révélées au grand jour.
Or, la magie des sentiments n’opère-t-elle exclusivement que lorsque ces motivations sont tapies sous terre ? Le leurre et la manipulation sont-ils les assises véritables des relations humaines ? Celles-ci sont-elles intrinsèquement hypocrites et égoïstes ? Autant de questions que nous adresse Thomas O. Saint-Pierre.
Un roman résolument original
C’est la forme qui revêt le plus grand intérêt dans La chasse aux autres. Car cette fois-ci, et à l’instar de ce qu’il a fait dans l’excellent Charlotte ne sourit pas, le narrateur (ou bien s’agit-il de l’auteur lui-même ?) se commet volontiers et prend la parole.
Thomas O. St-Pierre, qui est également traducteur, a lestement truffé son roman de mots et d’expressions en anglais. À moins que ce choix ne participe d’un désir de coller le récit à la stricte réalité, ou encore d’utiliser le mot précis qui sied le mieux à la situation décrite. Le style de l’auteur est par ailleurs fort appréciable, de même que les images évocatrices qui sertissent le fil de l’histoire.
On termine cet ouvrage un peu désillusionné. Il y a quelque chose d’inconfortable, voire d’affolant dans ce démantèlement de nos rapports amoureux. Quelques longueurs à certains points du récit ne sauraient dissuader le lecteur-rice de mener à terme la lecture.