L’épreuve de feu : la littérature à feu et à sang

Une vingtaine de chaises en demi-cercle, un foyer extérieur, une unique ampoule suspendue à une corde à linge…  L’épreuve de feu, autodafé poétique de Sébastien Lamarre, au-delà de l’évidente polémique qu’il porte, se veut un appel à la beauté des mots.  Dans une cour arrière de Saint-Sauveur, un poète dans le feu de l’action fait le pari de mettre la littérature au bûcher… Espérant qu’elle renaisse de ses cendres.

L’ambiance est conviviale, intimiste : une quinzaine de spectateurs, dont quelques curieux et beaucoup d’amis du performeur, rassemblés autour d’occasionnelles flammes.  Le poète ne se fait pas attendre : chantonnant feu, feu, joli feu, le voilà qui déchiquète un premier ouvrage, afin d’en faire du carton d’allumage.  Puis, il se lance dans son texte, traçant l’histoire du feu, suivie de celle du livre.

La religion, l’inquisition, l’autodafé, Sade et Torquemada : malgré la tendance quelque peu « wikipédienne », l’artiste à la plume incendiaire réussit à atteindre son but, soit d’introduire les démarches alternatives à la création « passive ».  Le livre, jadis outil du vice, se définit désormais comme vecteur de normes.  L’ouvrage commercial est à la « dictature du médiocre » ce que le sang est au sida : voilà son propos, comme il le décrit habilement.

Arrive Janette

On sent que le poète cherche son ton : tanguant entre le comique et le grave, il se révèle à l’image du brasier; incertain.  Souci technique: les flammes ne lèvent pas.  Malgré tout, le spectacle continue.  On entre dans la partie charnière.  Sans censure, il ouvre le feu sur les auteurs de la télévision, leur pédagogie, leur esthétique moralisatrice.

Il s’attarde à Janette Bertrand, narrant théâtralement certains passages d’un de ses livres, avant de le plonger dans les crépitements.  Puis vient le tour de Marie Laberge.  Il en profite pour s’insurger de s’y être arrêté à trois reprises lors de son parcours scolaire, alors qu’à Céline, jamais.  Légère, comique, la performance prend soudainement une tendance qui se rapproche du spectacle d’humour.

Finale en feu de Bengale

Constat général : un livre qui brûle, c’est étrangement fascinant. Le performeur s’attarde même un instant pour observer avec nous Marie Laberge s’étioler en braises.  Mais son spectacle n’est pas que dénonciation : l’autodafé a du grave.  C’est ce qu’il nous prouve par son changement de répertoire.  En effet, à la recherche d’une « lueur d’espoir », il récite un poème inédit d’Émilie Turmel, puis un des siens, manuscrit. Les deux partent en fumée.  La fugacité du geste sous-tend sa gravité : du touchant et vrai disparu à jamais.  C’est dans ce feu de Bengale d’émotions que « Seb » tire sa révérence, alors que l’urgence d’agir, d’écrire, se fait sentir, plus que jamais.

Paradoxalement, celui qui a la flamme pour la littérature a su charmer son public, alors qu’il clamait haut et fort la futilité d’un auditoire.  L’épreuve de feu est un spectacle touchant, authentique, qui mérite l’arrêt.  Heinrich Heine disait : « Là où l’on brûle des livres, on finit par brûler des hommes »; s’il y a bien un endroit où ce proverbe peut être démenti, c’est dans une cour arrière de Saint-Sauveur.  Et s’il y a bien quelqu’un pour le faire, c’est Sébastien Lamarre, qui sait jouer avec les mots, comme avec le feu.

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