Les Treize : l’envers du décor avec Alexandre Paquet et Sophie Levac

Après des mois de février et mars bien chargés, l’on pourrait croire à des temps plus doux et à des eaux plus tranquilles. Détrompez-vous ! La saison culturelle 2024-2025 est loin d’être terminée, et ce qui reste à venir s’avère très prometteur ! En attendant la saison chaude et les mille et un festivals, et pourquoi pas aussi pour en venir à bout de la fin de session, Impact Campus vous propose de vous immiscer dans les coulisses de quelques spectacles théâtraux à mettre sans faute à votre calendrier à travers une série d’entretiens. Au diable la critique ! Pour cette dernière immersion, Impact Campus s’est encore une fois cette année entretenue avec des membres de la troupe Les Treize, institution théâtrale à l’Université Laval. Alexandre Paquet et Sophie Levac sont venu.es me rejoindre afin d’échanger sur les enjeux et les joies du théâtre étudiant, d’en apprendre un peu plus sur les pièces qui seront prochainement présentées (respectivement Le Pillowman, Les Pieds des Anges et Five Kings), et, en bonus, on répond à un petit flash quiz pour apprendre à un peu mieux les connaître. Vous, vous êtes plus comédie ou tragédie ?

Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), cheffe de pupitre aux arts

Faire beaucoup avec peu, pas si difficile qu’il n’en paraisse

À chaque début d’année scolaire, les étudiant.es et amateur.rices de théâtre en tous genres sont invité.es à proposer leurs idées de projets à la troupe les Treize, à y participer en tant que comédien.nes ou tout simplement à s’impliquer en tant que membre du conseil d’administration. Dans un article publié au printemps dernier, nous nous étions entretenus avec deux des membres de la troupe et avions entre autres discuté du processus de sélection et des responsabilités, des défis et des motivations qui se cachaient derrière la prise en charge d’une production théâtrale auprès des Treize. En en sachant dès lors un peu plus au sujet du fonctionnement de la troupe, de la soumission du projet aux auditions jusqu’aux dernières répétitions, Impact Campus avait envie d’en apprendre un peu plus sur la réalité du théâtre amateur en milieu universitaire. Qu’implique concrètement le théâtre étudiant ? Quels sont les principaux défis logistiques ou même matériels auxquels iels font face en tant que troupe amatrice ?

Alexandre et Sophie me confirment toustes les deux que la contrainte n’est en réalité pas celle à laquelle je m’attendais, et que le principal défi logistique concerne surtout la coordination des horaires des étudiant.es faisant partie de la troupe, d’autant plus qu’iels proviennent de programmes universitaires aux opposés les uns des autres, voire parfois même d’en dehors de l’Université. Et si iels n’ont effectivement pas les moyens des plus grandes productions dites professionnelles, la troupe a tout de même accès aux ressources du programme de théâtre de l’Université Laval. 

Dans tous les cas, l’imagination et plus encore l’implication de toustes et chacun.es réussissent à leur manière à compenser le manque de moyens s’il en est un. Sophie m’explique effectivement que les membres sont plus souvent qu’autrement très investi.es dans la troupe et dans leurs projets respectifs, et que chacun.es y met du sien, à leur hauteur de ses capacités, en fournissant tel ou tel élément de costume ou de décor. Iels apprennent ainsi à faire avec ce qu’iels ont à portée de main, nourrissant un esprit de débrouillardise, certes, mais un esprit de collaboration d’abord et avant tout. 

Surtout, le fait qu’il s’agisse d’une troupe étudiante leur permet de faire des expérimentations qu’il ne serait pas toujours possible de faire dans un autre contexte, fonctionnant de manière plus horizontale. Alexandre ajoute “qu’il n’y a pas d’objectif de rentabilité. En tant que troupe, on n’a par exemple pas de cahier des charges à suivre, pas de producteur au-dessus pour nous mettre de la pression, et ça nous permet aussi d’expérimenter. Les pièces sont basées sur les propositions des étudiant.es et sur leurs intérêts personnels, et c’est un laboratoire utile pour ça.”

 

Les Treize, une manière de tisser du lien

Mais la troupe n’est pas seulement le lieu d’expérimentations, disons formelles ou esthétiques, puisqu’elle représente une occasion de faire l’expérience du théâtre, que ce soit pour la première ou la centième fois. “Ça dépend vraiment des gens”, me dit Sophie. “Certaines personnes impliquées dans Les Treize aimeraient effectivement être dans le milieu, font déjà partie du baccalauréat en théâtre ou ont un intérêt pour le professionnel. Moi, c’est quelque chose que j’avais déjà envisagé. J’ai déjà fait du théâtre à l’extérieur pour ça et quand je suis revenue à l’Université je voulais garder ça dans ma vie. J’ai fait un peu le chemin inverse, c’est-à-dire que j’ai voulu et finalement, j’ai plutôt gardé ça en parallèle à mes études. Certain.es en ont déjà fait avant et ils veulent garder ça vivant, pour d’autres ce n’est pas nécessairement un tremplin, mais ça peut être des personnes qui veulent essayer pour peut-être en faire plus tard. C’est aussi une occasion de découvrir quelque chose. Beaucoup d’anciens de la troupe sont dans le milieu présentement, et certains n’avaient pas fait de théâtre avant. Sans dire que c’est l’objectif des membres de la troupe, il y en a qui découvrent quelque chose ici et qui, après, peuvent décider de continuer.”

Pour Alexandre, c’est aussi une opportunité de réseautage. “Des fois, on fait des événements, par exemple le 75e anniversaire en décembre passé, durant lequel des anciens membres de la troupe et même des professionnels viennent. On essaie de faire dialoguer les membres de la troupe avec toute la communauté artistique de Québec.” Les Treize, c’est donc aussi une manière de rencontrer des personnes qu’on ne rencontrerait pas autrement. C’est un peu un tiers-lieu en dehors du travail et de l’école. “Ça permet un dialogue entre des étudiants qui ne se sont jamais croisés. Pour beaucoup, c’est la première fois de leur vie qu’ils font du théâtre. C’est une belle expérience et je trouve que ça les change sur le plan social. Ils sont vraiment plus dégourdis, plus à l’aise de parler en public, etc., et ça, c’est vraiment le fun à voir”, poursuit-il. 

Au fil des ans, j’en suis venue à comprendre que ce qui caractérise Les Treize et marque à tout coup les cohortes qui se chevauchent et se succèdent, ce sont ces liens qu’on y tisse. Pour Sophie, c’est plus qu’un simple espace de socialisation, et le contexte étudiant y serait pour beaucoup. “Les Treize, ce n’est pas un emploi. Les gens sont là parce qu’ils le veulent, il n’y a pas d’enjeux monétaires. Ils ont choisi d’être là et de faire partie d’un projet parce qu’ils y croient, et les liens qu’on crée ensemble sont autant importants pour moi que le projet qu’on fait en bout de ligne. Oui, on est là pour soi, pour s’exprimer, mais c’est aussi pour s’affilier, pour faire quelque chose ensemble qui est plus grand que nous. On passe des sessions complètes avec ces personnes-là pour bâtir quelque chose. Après, tu t’en rappelles, ce sont des souvenirs qui restent.”

 

Trois productions, trois visions du monde

Ce printemps, Les Treize auront la chance de présenter trois pièces différentes, dont les représentations se dérouleront toutes sur le campus. À quoi peut-on s’attendre, donc ?

 C’est d’abord Le Pillowman qui sera présentée les 25, 26 et 27 avril prochain. La pièce raconte l’histoire d’un “écrivain interrogé par la police dans un État totalitaire. Ses contes macabres ressemblent étrangement à des crimes récents… Coïncidence ou sinistre inspiration ? Entre humour noir et tension dramatique, Le Pillowman vous entraîne dans un jeu dangereux où l’imagination devient une arme redoutable.” Comment réussir à refléter cette atmosphère oppressante, notamment dans la mise en scène ? Selon Alexandre, “certains comédiens  vont essayer de jouer très près du public, et vont même essayer d’intégrer leur jeu au public pour créer ce sentiment d’oppression. La mise en scène mise beaucoup sur l’aspect immersif, notamment en s’immergeant dans les contes des frères Grimms. Je pense que leur ligne directrice, c’est vraiment l’immersion du spectateur.”

Les 14, 15 et 16 mai sera plutôt présentée la pièce Les Pieds des anges. “Vivre, mourir, chercher, vivre dans la peau d’un autre, faire semblant. Comment découvrir qui l’on est dans un monde où l’on peut être tout, où toutes les réponses sont bonnes et mauvaises à la fois?” Sophie m’explique que la fluidité identitaire dont traite la pièce est notamment représentée à travers le dédoublement des personnages. “Je sais que le personnage de Marie est joué par deux comédiennes, le personnage est divisé en deux en quelque sorte.” Alexandre poursuit en disant que “Le texte est cérébral et on est vraiment plongé dans l’esprit des personnages, et c’est un aspect qui est vraiment mis en scène. Des fois, dans une pièce, on va voir plus la formule du “montre, mais ne dit pas”, ou du “dit, mais ne montre pas”, et on mélange un peu les deux dans Les Pieds des Anges.”

Finalement, les amateur.rices de théâtre auront également la chance d’assister, les 17, 18 et 19 mai, à la pièce Five Kings : L’histoire de notre chute, “une fresque théâtrale d’Olivier Kemeid qui revisite le cycle des rois de Shakespeare à travers une adaptation québécoise contemporaine. Entre tragédie et satire, la pièce explore la soif de pouvoir et ses ravages à travers cinq générations de rois, offrant une réflexion sur l’héritage, la politique et la décadence des empires.” En leur demandant quels défis iels avaient rencontrés en transposant ces figures historiques dans un contexte moderne, Sophie m’indique qu’une part de la transposition relève de l’auteur. “Part de la transposition qui relève de l’auteur. “On se détache vraiment du Shakespear des années 1500. Comment on fait ça, c’est vraiment à travers les âges, donc on commence dans les années 60 et on termine dans les années 2020. À ce niveau-là, on est très contemporains. C’est aussi dans le vocabulaire utilisé, certains personnages sont plus québécois, plus actuels. Beaucoup de ce travail a été fait par l’auteur de la pièce, et de toute façon, c’est assez intemporel comme sujet. Ça reste des luttes de pouvoir, etc.”

“Exactement, la soif de pouvoir, l’infamie de la trahison, c’est intemporel comme Sophie le dit. Ça touche à des questions qui sont importantes à se poser, et  Five Kings les pose. Où a débuté l’histoire de notre chute ? On essaye d’y répondre, mais est-ce qu’il y a toujours des réponses à ça ? Pas toujours.”, complète Alexandre. Et comment aborder la continuité et l’évolution des personnages sur une si vaste période ? Toujours selon Alexandre, cela passe beaucoup par l’habillement des comédien.nes, la musique, l’ambiance. “Ça passe aussi par le vocabulaire utilisé, par le parler, on voit qu’ils évoluent. On peut voir que c’est plus formel et poétique, voire plus cérébral dans les premiers actes, et progressivement, les personnages deviennent de plus en plus infâmes, de plus en plus fous. La pièce part sur une dérape en bon québécois, est c’est un peu ça la progression historique. C’est la décadence.”

Si les trois pièces soulèvent des questionnements qui sont très actuels, la troupe ne cherche pas nécessairement à transmettre un message spécifique, bien qu’elle puisse, par le théâtre, provoquer une réflexion sociale ou politique, me confie Alexandre. “C’est certain qu’on vit une période de bouleversements mondiaux. Je pense que chez nos membres ça suscite des réflexions, peut-être parfois de manière inconsciente, et ça peut orienter leurs intérêts vers ces genres de propos-là, vers ces genres d’œuvres-là. Officiellement, il n’y a pas de message que Les Treize veulent passer, mais il y a assurément des pièces qui sont très actuelles sur le plan politique, surtout Five Kings dans laquelle Sophie et moi on est impliqué.es, qui fait fortement échos à des enjeux actuels.”

 

Flash quiz : nos invité.es en 10 questions

Quelle est votre pièce préférée ?

Alexandre : C’est drôle, mais Five Kings : L’histoire de notre chute ! Quand on cherchait un projet à présenter, j’ai lu cette pièce et je suis tombé en amour. C’est une grosse pièce, mais on va vraiment chercher l’intensité dramatique et la réflexion politique que j’aime retrouver dans une œuvre. Pour moi, Five Kings, c’est vraiment un chef-d’œuvre qui mérite plus de reconnaissance. 

Sophie : Dans les dernières années, j’ai vu 34 B à La Bordée que j’avais bien aimé, mais il y en a vraiment beaucoup que j’ai vu et que je me suis dit “wow”. Mais s’en est une que je trouvais vraiment intéressante dans l’histoire qu’elle racontait. 

 

Comédie ou tragédie ?

A. : Tragédie.

S. : Je pense tragédie aussi, mais ça dépend.

 

Théâtre classique ou contemporain ?

A. : Classique.

S. : Classique, mais encore une fois, je suis entre les deux !

A. : Souvent, quand les codes sont mélangés, c’est ce qui fait les meilleures pièces.

 

Si vous étiez un personnage de théâtre célèbre, ce serait qui?

A. : J’aurais tendance à dire Mercutio dans Roméo et Juliette. C’est le meilleur ami de Roméo, qui est juste là pour jouer son rôle d’ami, mais sans nécessairement être impliqué dans la tragédie. 

S. : C’est vraiment difficile ! Ils ont monté la pièce au Trident, donc je dirais Elizabeth Bennet dans Orgueil et Préjugés

 

Un genre théâtral que vous n’avez pas encore essayé et que vous aimeriez expérimenter ?

A. : Je dirais du bouffon. J’ai vu un extrait d’une pièce de bouffon récemment et ça m’a vraiment charmé de voir à quel point tu peux prendre un politicien ou une personnalité publique et juste la déformer à l’extrême. 

S. : Du théâtre d’ombres, je pense que j’aimerais ça !

 

Quelle est la première pièce dans laquelle vous avez joué ou avez été impliqué.es ?

A. : J’en ai connues deux en même temps. J’ai eu la comédie musicale Annie, et aussi le Dîner de cons, dans la même année au secondaire.  

S. : Au secondaire aussi, et c’était Chicago.

 

Y a-t-il une réplique de théâtre que vous aimez particulièrement et/ou que vous pouvez réciter de mémoire ?

A. : Une réplique que j’aime beaucoup et que je pourrais citer c’est une réplique dans Five Kings, et c’est “Trembler donc, tous ceux qui se retrouveront sur mon chemin, tant que je ne serai pas tout je ne serai rien“, et ça veut dire beaucoup de choses pour une phrase si simple. 

S. : Moi c’est la scène du balcon de Roméo et Juliette que je connaissais par cœur !

 

Quel est votre pire cauchemar de théâtre ?

A. : Mon pire cauchemar, je pense que ce serait de commencer le spectacle, mais d’avoir une envie pressante d’aller à la salle de bain et d’être pris sur scène ou en coulisses. 

S. : Je pense que c’est que ça commence et que je ne sois pas encore rendue là. L’an passé, ça a failli arriver pour vrai. Je faisais une petite présentation avant la pièce, et après, quand je suis arrivée pour me changer, la porte du local dans lequel était mon costume était barrée avec la clé à l’intérieur ! Finalement on a appelé la sécurité et ça s’est bien passé, mais c’est un exemple de petite histoire d’horreur avant un show que de ne pas avoir accès à son costume. 

 

Avez-vous un rituel ou une superstition avant d’entrer sur scène ?

A. : Moi c’est plus un rituel. Avant de pratiquer souvent il faut que j’aille faire des faces dans le miroir, juste pour pratiquer mes expressions faciales et pour échauffer et étirer mes muscles de la mâchoire et du visage. Je le fais moins avant de répéter, c’est surtout avant les spectacles. 

S. : J’en ai une, ce n’est pas un rituel, mais une superstition sur quelque chose que tu ne dois pas dire : c’est très connu qu’apparemment, tu ne dois pas dire Macbeth dans un théâtre parce que ça porterait malheur. Je l’ai fait par erreur la deuxième soirée quand on jouait On a volé la lune, et ce soir-là, on a fait des erreurs qu’on n’avait jamais faites avant. Je pense que c’est vraiment ma seule superstition. Sinon, j’aime juste sauter pour relâcher l’énergie en trop. 

 

Et finalement, quel a été votre meilleur moment de la saison 2024-2025 ?

A. : Il y a plein de bons moments, mais j’en aurais deux au top. Mon premier, c’est quand on a fêté le 75e anniversaire de la troupe Les Treize en décembre dernier. On a reçu un des fils du fondateur de la troupe, Jacques Duchesne, qui est décédé aujourd’hui. L’entendre parler de son père, des origines de la troupe, je trouvais ça vraiment émouvant, c’est un des moments qui m’a le plus marqué. Mon deuxième moment, je pense quand c’est quand on a terminé de placer Five Kings et de faire la mise en scène au complet et qu’on a réalisé qu’on avait un show, qu’on avait réussi à le faire. C’est un moment où tout le monde était un peu euphorique, même s’il se faisait tard ce soir-là. 

S. : Pour moi, ce n’est pas nécessairement un moment, mais ce sont tous les petits moments de fin de répétition où on prend le temps de parler ensemble, où on voit qu’un groupe se forme. Ce sont les moments où quelqu’un apporte des costumes pour aider tout le monde, le moment où on fait la première lecture de texte, qu’on se retrouve ensemble pour discuter et travailler. Ce sont tous ces petits moments que j’aime, qui me font du bien. 

 

Pour les intéressé.es, voici où vous procurez vos billets : 

Pour les autres, on se retrouve à l’automne prochain pour une nouvelle saison de la troupe Les Treize !

 

Auteur / autrice

Consulter le magazine