La troupe de théâtre Les Treize bat son plein

À chaque automne, les étudiant.es de l’Université Laval, tout comme les amateur.rices d’arts ou de théâtre, sont invité.es à soumettre leurs projets, aussi ambitieux soient-ils, à la troupe Les Treize. Il est aussi possible de prendre part à son conseil d’administration ou alors de s’y joindre en tant que comédien.nes (ou toutes ses réponses à la fois!). Si les dernières années, toujours marquées par le creux pandémique, se sont faites plutôt difficiles, la troupe semble plus que jamais reprendre du poil de la bête. Question d’en profiter pour leur donner une tribune plus que méritée, je me suis entretenue avec Alexandre Paquet, comédien, trésorier et vice-président par intérim ainsi qu’avec Martin Sirois, comédien et chargé de projet.

Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), cheffe de pupitre aux arts

Une production culturelle particulièrement diversifiée

Malgré la fin de session imminente, la vie étudiante et culturelle n’en est pas pour autant terminée à l’Université, puisque trois projets seront présentés par les Treize dès cette semaine, et ce jusqu’à la fin du mois de mai. Toutes les pièces tiennent dans des univers très différents les uns des autres, passant des classiques à l’extrême contemporain québécois, des textes poétiques à ceux de registre familier. À quoi peut-on s’attendre ?

Sera d’abord présentée, les 26 et 27 avril prochains à la Charpente des fauves, la pièce Poisson Glissant de François Ruel-Côté, mise en scène par Emmanuel Pelletier-Michaud, avec Martin Sirois, Charles-Étienne Palud, Maxime Crépeault, Alice Blanchier-Dionne, Marie-Pierre Bourget, Alexis Toutut et Léa-Florence Boucher :

« C’est une comédie très pétée, éclatée, absurde, existentialiste : c’est autant niaiseux qu’intelligent. Ça sonne complètement paradoxal, mais ça soulève des questions philosophiques sur le sens de l’existence, la quête et l’obsession du bonheur. Il y a une critique sociale, mais en même temps l’auteur s’est permis de se laisser aller complètement dans cette folie et d’aller dans l’absurde. C’est donc un spectacle hyper drôle qui fait aussi réfléchir. On peut s’attendre à être complètement dérouté.es. Quand on pense que ça s’en va quelque part, ça va ailleurs. On a hâte d’avoir du fun avec le public, d’avoir un retour, d’entendre des rires et d’avoir cette énergie qui nous donne le jus nécessaire pour nos représentations », me confie Martin. « Cette année, c’est tout sauf minimaliste. Les costumes, les accessoires et les éléments de décors n’en finissent plus, on ne sait plus où mettre notre matériel, ça prend des proportions assez incroyables ! Ça fait un petit peu peur, mais en même temps la pièce a une esthétique super assumée et funky. C’est intense ! »

La pièce Les noces de sang, présentée les 3 et 4 mai au Théâtre de Poche et interprétée par Alexandre Paquet, Alice Bernier, Alice Mery, Ethan Cadet, Évelyne Frenette, Félix Étienne, Houda Zaier, Ismaël Boivin, Léa Turgeon et Sophie Levac, n’a quant à elle pas de meuteur.euse en scène à proprement parler. Alexandre explique qu’il s’agit plutôt d’une création commune, bien que ce soient Sophie Levac et lui-même qui tiennent les rênes du projet :

« C’est une pièce espagnole qui a été écrite par Fédérico Gacia Lorca en 1931 et qui a été traduite par Fabrice Melquiot. C’est une tragédie romantique disons traditionnelle à propos de deux jeunes de familles aisées qui vont se marier dans la campagne andalouse. Le jour du mariage, l’ex-amant de la fiancée se présente, et ça vient un peu tout bouleverser. Ça entraine une situation de trahisons et de remises en question, mais aussi une série d’événements tragiques inévitables. La pièce aborde autant la tradition et les conventions sociales que la passion, l’obsession et la violence. C’est une pièce profonde soutenue par un texte très poétique et qui met aussi de l’avant le symbolisme et même le rapport à la terre, cher à l’auteur. »

Il sera finalement possible d’assister les 23, 24 et 25 mai à la pièce Antioche, interprétée par Marie-Jeanne Tremblay Beaulieu, Anne-Marie Lacombe, Coralie Laliberté-Grenier, Inès Le Sorne ainsi que Thomas Lagacé. Alexandre poursuit :

« Antioche, c’est une pièce québécoise écrite par Sarah Berthiaume et publiée en 2016. Le projet est chapeauté par Coralie Larose-Jemus et Anne Catherine Dignard. C’est un duo de chargées de projet très motivées. Dans la pièce, on suit d’abord Jade, une adolescente qui fait des rencontres en lignes pour donner un sens à sa crise d’adolescence et à sa quête de révolte. En parallèle, on suit aussi Antigone, sa meilleure amie morte dans une tragédie grecque il y a 1500 ans et qui essaie désespérément de faire jouer sa pièce à l’école sur l’histoire de sa vie.  Finalement, on suit aussi Inès, la mère de Jade, qui erre un peu sans but dans sa maison de banlieue. C’est une pièce qui aborde des thèmes forts, comme l’amitié, la quête de sens et du bonheur, mais aussi le féminisme et la résistance, la surconsommation, les relations mère-fille. »

En demandant aux deux invités s’ils avaient quelques anecdotes de parcours à partager avec nos lecteur.rices, et sans s’attendre non plus à des histoires aussi rocambolesques que croustillantes, j’ai plutôt eu droit à une réponse – attention le moment quétaine – attendrissante, laissant présager le genre de camaraderie et les dynamiques qui s’installent au fil des répétitions. Effectivement, Alexandre nous a dit que « pour les Noces de sang, je vais sonner plate, mais ça a été assez harmonieux. Le projet a vraiment bien été, il n’y a pas eu de mésaventure. On a juste du fun à tous les soirs ».

Du côté de Poisson Glissant, Martin nous raconte qu’un comédien s’est blessé, se retrouvant ainsi en chaise roulante (on nous glisse à l’oreille que ce dernier se porte bien!), forçant néanmoins l’équipe à s’adapter et à faire preuve d’encore plus de créativité: « Il a fallu tout replacer la mise en scène et le mouvement. C’est ça aussi le théâtre. The show must go on, la vie s’y mêle, mais on s’arrange, on fait le texte et on a du plaisir quand même. »

Des équipes motivées et surtout passionnées

Depuis la pandémie, le milieu culturel et artistique, notamment du côté des arts vivants, connaît un creux duquel il est parfois encore difficile de s’extirper, ce que nous confirme Martin : « C’était difficile de se produire sur scène, de trouver des façons innovantes de faire du théâtre sans scène ni public, notamment avec des projets théâtraux à la radio. Dans l’âge d’or des Treize, on présentait cinq ou six productions dans une année, on avait beaucoup plus de budget, bref. En ce moment, on essaie de renaître de nos cendres, d’avoir plus de subventions, etc. » Cela n’empêche pas pour autant les membres des Treize de s’investir à fond dans ces projets qu’ils portent des mois durant, et ne leur fait définitivement pas perdre espoir : « On sent l’élan, et il y a vraiment un essor de plus en plus puissant. L’année passée on avait deux projets, cette année on en a trois, et on espère en avoir plus les années suivantes », enchaîne-t-il.

Tous deux invitent quiconque ayant un projet à proposer, qu’il s’agisse de textes existants ou de créations, à ne pas hésiter à soumettre leurs idées dès l’automne prochain, du moment que la vision soit claire et que le projet se tienne, ou alors à faire partie du conseil d’administration. La troupe est ouverte autant aux étudiant.es qu’aux non étudiant.es. Si l’implication demande de faire preuve d’une grande débrouillardise et d’une certaine autonomie pour mener le tout à terme, la motivation qui habite les membres des Treize et les élans d’entraide dont ils font preuve semblent leur donner l’énergie nécessaire à l’édification des pièces choisies. Cela témoigne, année après année, d’une belle diversité des voix, des paroles et des échanges.

Pour Martin, il était surtout question d’un retour aux sources, à ce qui le passionne : « Je ne m’étais pas assez permis ça avant, alors je me suis lancé dans les Treize l’année passée avec Fendre les lacs en tant que chargé de projet et comédien. Cette année, j’ai proposé une deuxième pièce, toujours comme chargé de projet et comédien, et qui a été acceptée. Toucher à l’organisation, mais aussi jouer, faire partie d’une troupe, c’est vraiment génial. C’est l’expérience complète. Mais de mon côté, ce qui me plait le plus, c’est le trip de gang. C’est de connecter avec des gens que je n’aurais pas nécessairement croisés dans mon quotidien. L’année passée, j’ai rencontré Danielle, qui jouait ma mère dans Fendre les lacs. Elle a commencé à faire du théâtre à 62 ans, à sa retraite. J’ai tellement eu de plaisir à jouer avec cette femme-là, à répéter avec elle. C’est le genre de rencontre que je n’aurais jamais pu faire dans un autre contexte, mais qui vaut la peine d’être vécue dans une vie. Voilà pourquoi le théâtre : pour ce genre de rencontre-là. »

De son côté, Alexandre avait envie de toucher un peu plus aux coulisses du théâtre, au-delà des rôles qu’il a pu précédemment camper à titre de comédien : « Tout ce qui concerne la mise en scène, la gestion de projet, c’est un défi que je voulais me lancer pour aller plus loin dans mon parcours théâtral avec les Treize. J’ai pu toucher à tout. J’ai un petit faible pour la scénographie, c’est-à-dire faire les décors, bricoler un peu et utiliser mon imagination. Autrement, ma partie préférée, ce sont entre autres les activités de financement, comme le 13 mars dernier à la Barberie pour lancer la 75e saison des Treize. Ces genres d’activités ludiques et sociales sont mon bout préféré dans l’année. Ce que j’aurais à dire concernant l’implication dans le C.A. ou au sein d’une distribution, c’est que le théâtre, ça change des vies. Pas mal tout le monde qui en a fait a découvert de nouvelles facettes d’eux-mêmes. C’est surprenant à quel point une passion comme ça, qui est aussi vivante, peut changer une vie. J’encourage n’importe qui à se présenter l’année prochaine. » Vraiment, ça donne envie !

« La pièce Poisson Glissant pose beaucoup de questions sur le sens de l’existence et ce qui donne un sens à la vie au quotidien. Personnellement, je trouve que le théâtre donne énormément de sens à mon quotidien, parce que c’est l’esprit de communauté, c’est connecter avec les gens qui sont près de nous, c’est être à l’écoute des gens qui sont près de nous. Ça m’a fait énormément de bien dans les deux dernières années. Il y a un apprentissage aussi de se laisser aller, de se faire confiance, s’affirmer. Ce sont toutes des aptitudes sociales extrêmement importantes, je trouve, en tant qu’enseignant », ajoute Martin.

Ainsi, si la remontée est difficile et non pas sans embûches, elle s’avère avant tout stimulante, enrichissante. Elle en vaut assurément la peine, permettant non seulement de toujours plus faire rayonner le théâtre à l’Université, mais aussi d’ouvrir des dialogues nécessaires et, visiblement, de tisser des liens forts et marquants (et je dois admettre qu’il y a là une rencontre et une entrevue que je n’oublierai pas de sitôt).

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