Photo: Courtoisie, Michele Young

L’herbe est plus verte : une exploration de la scène rock anglophone montréalaise

Bien que le cliché des deux solitudes soit plus que dépassé, force est d’admettre que, du moins musicalement, il y a encore une scission entre les univers anglophone et francophone. Cette séparation peut facilement faire oublier aux jeunes québécois francophones naïfs que non, le Québec en anglais, ce n’est pas que le nouvel album pas écoutable d’Arcade Fire, mais bien une culture vibrante et intéressante, toute langue confondue.

Pour la première mouture de son nouveau format, Impact Campus proclame haut et fort «Bonjour-Hi !» et vous propose une loupe sur une sous- section de la scène musicale montréalaise anglophone : une demi-poignée de collectifs et maisons de disques, Fixture Records, Egg Paper, Decent Club, combinant une ou deux douzaines de projets peut-être, mais qui ensemble définissent d’une manière assez circonscrite le son des souterrains de la métropole. Les spectacles, eux, se passent à la Casa del Popolo, la Brasserie Beaubien, la Plante, la Vitrola, dans des appartements du Mile End ou de la Petite Italie ou dans des lieux quasi secrets d’une ruelle malodorante pas trop loin de l’avenue du Parc.

Un des points forts de la communauté est l’approche «fais-le toi-même» (abrégé DIY pour «Do it yourself»), qui est issue des idéaux punks des années 70, rejetant l’industrie musicale pour une méthode «faite maison», que ce soit pour l’enregistrement ou l’organisation de spectacles. C’est une approche qui existe certainement dans une partie de la communauté francophone aussi, pensons au Pantoum à Québec ou à la communauté qui s’organise autour du Quai des Brumes et de l’Esco à Montréal, mais qui, chez le public anglophone, est beaucoup plus étendue. Elle s’étend à l’organisation des festivals, vise une plus grande égalité hommes-femmes dans la scène et l’établissement de «safer spaces», lieux où une personne ou un groupe de personnes peut se sentir à l’aise, qu’elle ne sera pas exposée à la discrimination ou au harcèlement.

Mais l’intérêt d’examiner la musique rock anglophone montréalaise n’est pas que d’apprendre de ses pratiques, bien qu’il serait enfin temps d’avancer un peu de ce côté, mais d’écouter ses artistes, qui ont produit dans les dernières années bon nombre de perles étant restées sous le radar de la grande majorité des audiences francophones, particulièrement ici à Québec.

L’exode de Calgary

La tendance, et ce depuis plusieurs années déjà, est à un retour du post-punk, avec les guitares bien à l’avant et les rythmes découpés. Certains groupes plus grand public, comme Ought, qui a eu un certain succès avec Today More

Than Any Other Day, ou Preoccupations, maintenant quasi basé à Montréal, forment la pointe de l’iceberg qu’est le post-punk montréalais. Et il faut, pour expliquer une partie de ce renouveau du post-punk, regarder à un endroit un peu surprenant : Calgary.

La référence aux mythiques Women, groupe phare de la métropole albertaine, est facile, mais permet aussi de situer les origines d’une partie du «son montréalais» actuel. Des projets comme Un Blonde ou Telstar Drugs, bien qu’ils s’en soient éloignés, ont fait leurs débuts musicaux dans l’effervescence de Calgary du début des années 2010 et leur son en reste teinté. D’autres, comme Dories, sont originaires de Calgary, mais ont commencé la musique à Montréal. Chris Hauer, guitariste de la formation, explique que pour plusieurs, l’intérêt de déménager à Montréal est multiple : «Il y a plus de choses à faire, plus d’événements, de groupes qui passent, une plus grande population de musiciens». Mais aussi des loyers moins chers et des opportunités universitaires plus intéressantes, précise le musicien, qui a avant tout déménagé pour ses études.

Ces projets ont des origines discernables, certes, mais ils ne sont pourtant pas restés dans les confins du «son albertain» : Un Blonde, par exemple, fait maintenant dans le R &B électronique déconstruit

sous le pseudonyme Yves Jarvis, Telstar Drugs s’est séparé après un magnifique album beaucoup plus krautrock et réflexif, Sonatine, et Dories a ajouté des couleurs psychédéliques à sa guitare-pop sur Outside Observer. On se trouverait maintenant dans une sorte d’après, une volonté de renouveau qui crée ses nouveaux repères. Un groupe comme Mono No Aware, par exemple, composé entre autres d’exilés albertains, vient de faire paraître, avec son album éponyme, un des meilleurs albums de pop-rock étrange des dernières années.

Réalités canadiennes

Cette forte présence albertaine est le reflet de certaines réalités particulières au Canada anglais, soit l’existence d’un réseau de festivals, d’une communauté dépassant les limites géographiques de Montréal. Des organisations telles qu’Ottawa Explosion Weekend, Sled Island à Calgary, Sappyfest et Stereophonic à Sackville, l’ex Shifty Bits Circus à Fredericton ainsi que quelques blogues, le plus notoire étant le désormais inactif Weird Canada, offrent aux groupes DIY canadiens un réseau de support et de tournée qui a contribué fortement au développement d’une forte communauté culturelle anglophone.

Notons la réception chaleureuse à Montréal de groupes ontariens comme New Fries, Freak Heat Waves, Luge, Whoop-Szo ou WLMRT, grâce en partie à ce réseau de support. Il est aussi important de noter que l’exode vers Montréal n’est pas qu’albertain, on aura vu dans les dernières années quelques groupes, comme Lonely Parade de Peterborough ou LAPS, de Fredericton, déménager «en bloc» et s’installer dans la métropole.

Le cas Fixture Records

Mais la musique anglo à Montréal ce n’est pas que l’exil, évidemment. Un bon exemple est Fixture Records, une maison de disque d’appartement qui fait souvent dans une pop psychédélique bien particulière, presque propre à l’étiquette. Brave Radar, Phern ou Moss Limefont dans cette subtilité un peu flottante, parfois vintage, mais définitivement actuelle qui vient ajouter une couleur au portrait musical de la métropole. S’y combinent dans le large catalogue du label la pop infectieuse de J. Ellise Barbara, le noise électro des premières parutions de Dirty Beaches, les premiers pas lo-fi de Homeshake, la langueur et l’instabilité pop des Submissives et plusieurs autres.

On voit plus facilement avec l’exemple de Fixture qu’il n’existe pas de réel «son montréalais», mais plutôt une panoplie de groupes, s’entre-influençant, bien sûr, mais qui sont autonomes et indépendants. Il reste pourtant, à notre avis, un quelque chose de presque indescriptible, en plus de l’éthique DIY, qui lie plusieurs de ces projets, une esthétique particulière peut- être, une forte tendance à l’utilisation des guitares, l’équilibre fin entre la dissonance et la pop que plusieurs tentent d’approcher. Le débat reste ouvert.

La mixité

Et les francophones là-dedans ? Évoluent- ils dans un monde parallèle, sans contact ? Non, évidemment ! On voit quelques groupes francophones (ou mixtes) qui décident de chanter en anglais, notamment Lemongrab, Paul Jacobs, Chiffres ou DATES. On voit aussi des artistes qui collaborent autant avec des labels ou collectifs anglophones que francophones, pensons à Piper Curtis, qui a fait paraître des chansons autant avec Decent Club qu’avec l’étiquette des garçons de Bleu Nuit, L4M records. Bleu Nuit, qui comme d’autres groupes francophones, notamment Corridor, s’approche des sonorités post-punk qu’on retrouve plus souvent de l’autre côté de la barrière linguistique.

Ainsi, il ne faut pas croire que la musique anglophone à Montréal existe en vase clos limité aux frontières du Mile End, surtout avec la récente tombée du Poisson Noir, lieu de diffusion important du quartier. La catégorisation ici faite ne représente qu’une introduction, très ciblée sur le rock et le post-punk, admettons-le, à un univers qu’on peut passer des mois à découvrir.

Auteur / autrice

Consulter le magazine