L’idée est ambitieuse. Et si, au début du 17e Siècle, l’histoire de Macbeth, roi d’Écosse, avait été racontée par un Canadien-français plutôt que par William Shakespeare ? C’est le pari réalisé en 1978 par Michel Garneau dans sa version très québécoise de la célèbre pièce que les éditions Somme toute viennent de publier.
L’histoire est connue. Poussé par une ambition débridée, sa propre femme et des forces occultes, le général Macbeth devient Roi d’Écosse par régicide. Dans les couloirs humides de leur sombre château de Dunsinane, le roi et la reine sont cependant lentement rongés jusqu’à la moelle par la culpabilité et la toile noire de la mystérieuse prophétie dans laquelle ils se sont eux-mêmes entremêlés.
Armé du Glossaire du parler français au Canada, Michel Garneau a passé trois étés complets à réaliser l’ouvrage de traduction. « Tout ce qui comptait pour moi c’était de trouver la manière de les faire SONNER. J’ai travaillé à haute voix et ça a été très lent et très long. Toute une journée souvent pour quelques vers », explique le dramaturge.
Une transposition réussie
L’expérience est concluante, la langue québécoise est particulièrement appropriée pour décrire la réalité de l’Écosse de l’an mille. À l’image du royaume de Duncan puis de Macbeth, la langue utilisée par Shakespeare est populaire et riche d’une âpreté toute mérovingienne. « Aime ce que tu as brûlé. Brûle ce que tu as brûlé », a dit Saint Remi au moment de baptiser Clovis et ses hordes barbares. Les sarcières auraient pu tenir le même langage à Macbeth.
En revanche, les traductions françaises « traditionnelles » sont généralement dans le registre d’un noble langage royal. Après tout, Macbeth n’est-il pas roi ? Or, rien n’est plus différent, en frais de royauté, que le monde décrit par Shakespeare et la cour des grands rois français du 18e Siècle.
En exemple, à ce moment célèbre de l’acte final de la pièce, Macbeth vient d’apprendre le suicide de sa femme ;
Toutes les journées d’hier ont jusse éclairé
L’ch’min vers la poussière d’la mort.
Éteins-toé, éteins-toé,
Ma p’tite lumiére,
On vit sa vie comme eune omb’e en vie qui bouge :
On vit sa vie comme un fou d’gesteux
Qui s’dandine pis qui s’énarve eune tite heure
D’vant l’monde pis qu’y fenit par s’la farmer,
Parc’la vie, c’est rien qu’eune p’tite histoére,
Contée par un pauv’simp’e,
Pleine de bruits, pleine de furie,
Eune p’tite histoére qui veut rien dire.
And all our yesterdays have lighted fools
The way to dusty death. Out, out, brief candle!
Life’s but a walking shadow, a poor player
That struts and frets his hour upon the stage,
And then is heard no more: it is a tale
Told by an idiot, full of sound and fury,
Signifying nothing.
Volonté foncièrement folklorique
L’adaptation de Garneau a bien sûr une saveur toute « années 70 », une période de réappropriation de la langue, mais, comme toute chose Shakespeare, elle revêt également un caractère intemporel.
L’auteur a une volonté foncièrement folklorique, mais bien différente de celle de Michel Tremblay. Le style peut sembler exagéré, voire grossier, mais c’est là où se trouve le véritable exercice de style. Il s’agit d’une pièce écrite en Anglais au 17e Siècle racontant les aventures de personnages historiques ayant vécus autour de l’an mille.
Garneau a imaginé un habitant de la Nouvelle-France écrire la même histoire, mais dans un français colonial. C’est un exercice intéressant. Après tout, le véritable Macbeth, dont la vie est maintenant si liée à la littérature anglaise, ne parlait pas la langue de Shakespeare, mais bien le gaélique écossais.
Un petit avertissement toutefois ; puisque l’ouvrage est écrit au son, vous avez beau être le plus pur laine des Québécois, la lecture est laborieuse et doit de préférence se faire à voix haute, en particulier au début de la lecture. Nos amis de l’hexagone auront certainement encore plus de difficulté à trouver un sens dans ce fatras d’apostrophes et d’expressions très particulières.