Pièce phare de la dramaturgie québécoise, À toi, pour toujours, ta Marie-Lou de Michel Tremblay, était présentée en première mercredi dernier et amorçait du même coup un mois de représentations. Tragédie moderne sur fond de réalité ouvrière crue, cette oeuvre invite le spectateur dans l’intimité d’une famille où tout vole en éclat.
La commande n’était pas simple pour Alexandre Fecteau, pilote de cette production. Toutefois, sa feuille de route, qui compte le prix John-Hirsch en 2013 remis à un jeune metteur en scène prometteur et le No Show, véritable succès théâtral, justifiait grandement la décision de lui confier les rênes d’une des pièces phares des 40 ans du théâtre La Bordée. Il faut d’ailleurs reconnaître que Fecteau n’a pas failli à sa tâche, loin de là.
Pour mener à bien ce projet, il a d’abord pu s’appuyer sur un texte d’une qualité hors-norme. Cette tragédie moderne relate les déboires d’une famille ouvrière à Montréal. En 1971, Manon et sa soeur Carmen revivent une dispute familiale vécue dix ans plus tôt. À cette époque, Marie-Louise (magistralement incarnée par Éva Daigle) annonçait à Léopold (interprété avec une brutale sensibilité par Hugues Frenette) la venue prochaine d’un enfant. Véritable hécatombe pour ce couple qui tardait à réaliser sa déchéance, cette nouvelle sera le début de la fin pour cette famille déjà brisée de l’intérieur.
Revisiter un monument
Un tel texte nécessite bien sûr un travail de mise en scène soigné et appliqué. Les extravagances ne sont pas de mise, il faut laisser parler l’œuvre et non l’enterrer dans des à-côtés sans intérêt. Par sa vision, Fecteau a su présenter la pièce de manière simple, sobre et percutante à la fois. Le rôle de sa mise en scène en a été un de soutien. Quelques accents ici et là viennent ponctuer la représentation, sans jamais venir faire d’ombre au texte. Ainsi, le champ était libre pour laisser résonner les mots de Tremblay.
À propos du décor, le premier regard peut soulever certains questionnements. Le plan incliné rappelant le mur d’un vieil appartement et l’anneau rotatif en plein centre aurait très bien pu n’être qu’un ornement tape-à-l’œil s’ils avaient été mal employés. Toutefois, leur judicieuse utilisation permet de rendre encore plus significatif le travail déjà impressionnant des comédiens. La pente descendante sur laquelle le couple évolue pendant une bonne partie de la pièce n’était autre que celle de leur union à la dérive.
L’instabilité de ce noyau familial se transpose physiquement sur les personnages qui doivent lutter pour trouver un semblant d’équilibre. Et il y a aussi l’anneau, l’engrenage de la triste misère quotidienne dans laquelle sombrent Marie-Lou et Léopold. Par les accessoires qui y sont disposés, les scènes se transportent au fil des dialogues d’un endroit à l’autre, ce qui rend la mise en scène d’autant plus efficace.
En bref, c’est une pièce à voir, tout simplement. Certainement la meilleure production présentée jusqu’à présent cette saison à la Bordée. Un texte magistral, des acteurs maîtrisant leur art et le tout uni avec brio par Alexandre Fecteau en résultent un spectacle à ne pas manquer.