Photo : Livres Archives, Hubert Gaudreau

Réalisme magique et nordique

Seconde traduction de Heather O’Neill en français à paraître aux éditions Alto, Hôtel Lonely Hearts est une œuvre puissante remplie de douceur, d’imagination et de douleur. L’auteure est au monde littéraire québécois ce qu’était Arcade Fire il y a quelques années. Encensée au Canada anglais et de par le monde, elle est presque inconnue ici, cela même si elle est native de Montréal et y vit toujours.

Une première traduction d’un de ses romans, La ballade de Baby, réalisée en France en 2008, avait rencontré peu de succès au Québec, entre autres à cause d’une traduction franchouillarde enlevant toute crédibilité à l’environnement montréalais.

C’est heureusement une erreur qui n’est pas reproduite ici grâce au solide travail de Dominique Fortier qui balance habillement un langage précis et efficace, mais non dépourvu d’imagination.

Hôtel Lonely Hearts raconte l’histoire de deux orphelins, Rose et Pierrot, qui tentent de survivre à la Grande Dépression. Aller-retour constant entre milieu interlope et innocence, richesse et pauvreté, grâce et décadence, ils ne survivront toujours que pour pouvoir rester l’un avec l’autre. Le récit est touché du bout des doigts par la magie, laissant plusieurs fois planer le doute à savoir si on assiste à du fantastique ou à une métaphore, un étirement maximum du réel ou le débordement dans le rêve. On retrouve plusieurs fois ce ton, propre au réalisme magique, de dire d’un ton placide des choses extraordinaires.

Heather O’Neill – Credit photo – Julie Artacho
De la noblesse et de l’enchantement

L’univers est centré autour du Montréal de la Grande Dépression et de son monde des spectacles. Des rues sales des quartiers pauvres aux planches glamours du Roxy, Heather O’Neill pose sur chacun de ces lieux un regard les couvrant d’une noblesse et d’un enchantement inattendu. Sa description de Westmount et des cabarets semble habitée de la même fascination et de la même chaleur que lorsque Woody Allen filme New York. Pierrot incarne tous les artistes maudits que nous avons aimés et Rose nous remémore ces pionnières de l’émancipation féminine que nous avons admiré, remplies d’une colère juste et d’un esprit froid, calculateur et sans pitié.

Le ton, lui, semble emprunter à la littérature russe. Le roman est parsemé de clins d’oeil comme si le lointain pays servait à la fois de référence et de miroir. Celui-ci est habité par le même froid, la même pauvreté, cette même énergie fatiguée. Cette même sensibilité au drame, mais une indifférence à la souffrance, cette conscience de la banalité de la douleur.

L’étude psychologique des personnages en est du même coup plus riche, gardant ce sens de la mise en abîme propre au pays mais en en élaguant le côté parfois trop cérébral. On est tout particulièrement fasciné par ce catalogue des désirs que semble dresser sans aucune gêne l’auteure, des plus innocents aux plus pervers, des plus enfantins aux plus dangereux, observant à chaque fois en une ou deux lignes efficaces, autant leurs essences que les conséquences, remords et plaisirs venant avec.

Un excellent roman, extrêmement bien composé et pensé, agréable à lire autant pour la plume, le récit et les idées.

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