Photo : Alice Chiche

« Renouvelécrire » la langue française

Vous avez bien lu. « Renouvelécrire ». Comme dans rafraîchir la langue française à coup de mots nouveaux. C’est ce qu’ont fait des dizaines de jeunes âgés de 15 à 25 ans dans le cadre du concours « L’Inédico » de la Maison de la littérature.

Est atteint de « textolisme » celui qui nourrit une dépendance pathologique à son téléphone cellulaire. Celui qui arrête définitivement de fumer grâce à une vapoteuse, on peut dire qu’il vit une « vapothéose ». Quant aux amateurs de vélo qui bravent le froid avec leur diligence de métal, on peut dire d’eux qu’ils sont des « cryocyclistes ».

La consigne des Jeunes programmateurs 15-18 ans était simple. Créer des néologismes pour revigorer la langue française. Les poster sur la page Facebook du concours avant le 8 février. Croiser les doigts pour que ses mots-valises se retrouvent dans l’abécédaire vidéo qui verra le jour plus tard ce printemps.

Le concept vise autant à « piquer la curiosité des gens par rapport à la Maison de la littérature » qu’à critiquer « le manque de mots qui existent pour désigner certaines réalités », explique la jeune programmatrice Kamille Leclair.

Ultimement, il s’agit aussi d’une façon de « prouver aux jeunes qu’il leur est possible de s’impliquer et de réfléchir » sur la langue de Molière, poursuit l’étudiante en sciences humaines au Cégep Limoilou.

Mais aussi de trouver des équivalents français pour les selfie et hashtag de ce monde, question « d’inventer des nouveaux mots au lieu d’utiliser des anglicismes », lance Émilie Turmel, adjointe à la programmation à la Maison de la littérature.

Dans l’imagination des participants, binge-watching est ainsi devenu « goinfrécoute » et grammar nazi s’est transformé en « conjuguerrier ».

Écriture 2.0

Si la langue change autant, et qu’elle s’enrichit chaque année de nouveaux mots, c’est qu’elle « est amenée à évoluer et à changer selon les usages », précise Émilie Turmel. Plusieurs mots en usage il y a 50, voire 350 ans sont tombés dans l’oubli parce que la réalité qu’ils désignent est surannée, explique-t-elle. En effet, qui de nos jours croise une connaissance dans la rue et lui donne du sieur ?

Le français évolue aussi au rythme des médias sociaux et des textos. À force de tweeter ou d’écrire des courriels, l’efficacité peut pousser à abréger. Certaines lettres – comme le i dans oignon ? – deviennent « comme des appendices, comme des vestiges de quelque chose qui autrefois avait son utilité », croit l’adjointe à la programmation.

Ces raccourcis ne sont pas une mauvaise chose en soi, pense Kamille Leclair, jeune programmatrice. « Ça pratique notre esprit de concision. Pour envoyer un tweet, il faut vraiment y penser et avoir un esprit de synthèse. »

À ceux qui croient que les jeunes ne savent pas écrire en raison de leur propension à écrire en textos, l’étudiante en sciences humaines au Cégep Limoilou répond que les jeunes utilisent certains registres par choix et qu’ils sont capables d’adapter leur écriture au contexte.

« D’un point de vue historique, il y a toujours eu un slang pour les jeunes. Ça n’a jamais été un problème en ce qui a trait aux productions académiques. Il ne faut pas voir ça comme un obstacle à la langue. C’est une extension de la langue. »

« Nouvèle ortografe »

Beaucoup se sont braqués contre la réforme de l’orthographe dont il a été question ces derniers jours, y voyant un nivèlement vers le bas. Pour la jeune programmatrice Flavie Chevalier, la question n’est pas de savoir comment écrire « nénuphar », mais de rendre l’écriture du français plus accessible, surtout pour les jeunes.

« Qu’on change ou non l’orthographe, tant que la personne qui obtient son diplôme d’études secondaires sait écrire d’une façon correcte pour son milieu professionnel, j’y vois une victoire, souligne l’étudiante en sciences de la nature à Garneau. En ce moment, ce n’est pas le cas. […] Les gens repassent leur français une, deux, trois fois et ont des mesures d’aide parce qu’il y a un blocage en ce qui concerne l’orthographe et la syntaxe. Certains arrivent au cégep et en sont encore à apprendre à écrire. »

Même son de cloche pour Kamille Leclair, qui croit que la nouvelle orthographe permettra à beaucoup de personnes d’être plus fonctionnelles et plus à l’aise dans la langue de Molière.

Accent circonflexe ou non, « il faut rendre la langue accessible au plus grand nombre possible », finalise Émilie Turmel. Il est nécessaire de se porter à la défense de la langue, pour ne pas accepter tous les changements, mais « il faut aussi regarder le passé, et voir aussi qu’aujourd’hui, il y a un plus grand nombre de personnes qui écrivent, qui comprennent et qui partagent notre langue », conclut Émilie. Et ce, plusieurs réformes de l’orthographe plus tard.

Quelques propositions soumises à l’« Inédico »

Tinderoriser : « Avoir la phobie des applications pour rencontrer l’amour »

Sadisfaction : « Se réjouir de voir quelqu’un avoir mal »

Lècheverrines : « Activité qui consiste à visiter des sites Web de recettes sans aucune intention de cuisiner »

Digestation : « Une période de digestion excessivement longue qui comprends des ballonnements vraiment sévères, d’où l’apparence du malade de porter un enfant »

Quinoapôtre : « Une personne végétarienne cliente de la Carotte joyeuse »

Auteur / autrice

  • Kim Chabot

    Journaliste culturelle dans l’âme et historienne de formation, Kim est passionnée par la littérature, les arts visuels et le théâtre. Elle aime découvrir de tout, des grands classiques aux projets artistiques de la relève. Pour elle, les scènes de l’Université Laval et de la Ville de Québec sont des gros terrains de jeux aux possibilités infinies. Elle nourrit aussi un grand amour pour la langue française, au grand dam de ceux qu’elle reprend inlassablement pour des « si j’aurais ».

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