Crédits photo David Mendoza-Helaine

S’acoquiner (et se laisser captiver) avec Interdit de flâner

Présentée au théâtre Premier Acte par le collectif Dites-le pas à ma mère du 11 au 30 novembre, la pièce Interdit de flâner nous plonge dans l’univers d’Étienne, qui devient bien malgré lui dealer de pot de son école secondaire. Une production qui aura su tenir ses promesses et épater la galerie, se méritant même, en cette deuxième soirée de représentation et après près de 90 minutes de « monologue humoristique et technologique », un standing ovation bien mérité. 

Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), cheffe de pupitre aux arts

Interprétation : Antoine Paré-Poirier | Texte : Antoine Paré-Poirier | Mise en scène : Mélissa Bouchard | Assistance à la mise en scène : Lauréanne Dumoulin et Pascale Chiasson | Direction de production : Pascale Chiasson | Direction technique, régie, conception décor et lumière : Simon Rollin | Conception sonore : Pascal Larose-Picher | Conception visuelle : Joé Côté-Rancourt | Conception Costumes et accessoires : Laurie Carrier

Je dois avouer que j’anticipais un peu la direction qu’allait prendre la pièce en lisant le synopsis. Quand j’étais moi-même au secondaire, les tentatives des « vrai.es » adultes d’aborder les aléas de l’adolescence prenaient souvent des airs de conférences obligatoires à l’agora sur les décrocheur.euses, de discours un peu has-been à la Biz et des fameux vidéoclips de type De héros à zéro, tout ça servi sur un ton moralisateur et la fameuse approche style « yo, les jeunes » (prononcé en mettant sa casquette de côté (???)). J’exagère, mais quand même : rien de plus difficile à prendre au sérieux et de moins cool qu’un adulte qui essaye trop fort d’être cool. Urgh.

Prémisse un peu longue pour dire qu’Antoine Paré-Poirier a réussi à éviter cet écueil. Le texte n’est ni quétaine ni passé date, nous servant ici et là de savoureux petits jeux de mots et nous offrant même quelques glissements poétiques particulièrement intéressants lorsque mis à l’oral. Tout ça sans non plus avoir l’impression d’être dans une sur-écriture, ce moment où on peut sentir qu’un.e auteur.rice se regarde écrire. Et si les premiers instants me semblaient peut-être un peu trop joués, justement – est-ce qu’on allait tenir toute la pièce à 110% ? – cette interprétation un peu extra traduit en fait très bien comment on peut se sentir quand on est ado, un peu coincé.es dans notre tête, quand un tout et un rien prennent une ampleur que l’on n’avait pas anticipée. Pas une erreur de justesse dans le jeu, donc.

Mais au fil du récit, la pièce, tout comme le personnage, gagne en nuances, sans toutefois perdre de son efficacité narrative et comique, chose qui n’aurait pas été possible si la pièce s’était avérée plus courte. Le rythme et l’énergie y sont bien travaillés ; plutôt que d’assister à un condensé un peu formulaïque, cliché ou bancal parce que devant tourner les coins ronds, nous avons eu droit à une mise en récit qui a pris le temps qu’il lui fallait pour se déplier.

Mais la pièce n’en est pas pour autant diluée et le monologue, pas monotone. Les longueurs, s’il y en a, sont nécessaires et servent la pièce dans son ensemble. Serait-ce même approprié de les appeler longueurs… non, simplement des ajustements dans la cadence, l’ambiance et le ton des divers segments. Segments qui, précisément parce qu’ils sont variés – pensons aux jeux télévisés à thématique Le Stoner, le Rouleur et le Dealer – et nous donnent la possibilité de nous (dé)poser, de souffler, nous permettent de mieux les apprécier et s’enthousiasmer d’eux, de leurs punchs, de leur originalité. Ah ! Ce qu’il faisait bon être spectateur.rices…

J’ajouterais que cette capacité à garder les spectateur.rices attentif.ves, à susciter des réactions jusqu’à la toute fin, relève également d’une ingéniosité scénique et technique : on nous avait prévenu.es, en plus ! Utilisation des accessoires, éclairages, techniques de projection et de captation en temps réel, ambiance sonore et atmosphère musicale elles aussi en direct, machine à boucane, adresses au public (meilleures que dans Deadpool, je vous rassure), utilisation maximale d’un décor somme toute minimal… Les exemples ne manquent pas. Par souci de surprise, je me tords la langue sept fois plutôt qu’une pour ne pas tout déballer d’emblée.

Les prouesses techniques peuvent facilement alourdir une représentation, soit en s’imposant de façon indélicate et maladroite, soit en nous aveuglant, en éclipsant, dans toute leur splendeur et leur grandeur (ou pas), le reste de l’œuvre. Non seulement la technique et les technologies sont-elles habillement intégrées, elles sont mises au service du propos, en bonifient le sens et la force, en servant tantôt de préfiguration, de mise en contexte ou de facteur d’immersion, tantôt d’accent, humoristique ou non, inusité, ou de subtil clin d’œil. Rien à voir avec un écran de fumée (enfin oui, un peu quand même ; mes yeux étaient secs, mais rieurs).

C’est donc en grande partie parce que la technique est judicieusement utilisée, de manière créative, inventive et plus encore stratégique, et non pas en raison de sa présence abusive ou imposante, que la représentation est dynamique sans être superficielle. Soulignons en ce sens l’attention aux détails : rien n’est laissé au hasard, tout a une utilité (ou presque). Les manipulations ont un but, et nous permettent, en bonus, d’aller toujours un peu plus en profondeur sans perdre en légèreté.

La richesse de la pièce réside, finalement, dans ces dynamiques entre fond et forme, où humour, audace et trucages font bon ménage. Tout ce que j’aurais à ajouter, c’est que c’est vraiment bon : allez-y !

 

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