The Hateful Eight : Le dieu du carnage


Que The Hateful Eight, huitième film de Quentin Tarantino, ait finalement vu le jour relève presque du miracle. Début 2014, la fuite du scénario et sa diffusion sur Internet avaient plongé le cinéaste dans une colère telle qu’il avait jeté le projet aux orties. De nombreux coups de gueule, un retournement et une lecture publique triomphale plus tard, le voici qui prend enfin l’affiche, trois ans après Django Unchained.

 

Hateful-Eight-799x1080Pour ce nouveau western, l’enfant terrible du cinéma américain a abandonné les champs ensoleillés du Sud, préférant cette fois teindre d’écarlate les immensités enneigées et désertes du Wyoming plutôt que la blanche fibre du coton. Là où Django empruntait les allures d’un long périple vengeur aux multiples théâtres, The Hateful Eight se fait huit-clos anxiogène, campé d’abord dans une diligence exiguë, ensuite dans un relais isolé par le blizzard. Prisonniers de la tempête, huit salopards, tous plus antipathiques, violents et retors les uns que les autres.

John Ruth (Kurt Russell), chasseur de prime brutal et bourru, doit emmener la criminelle Daisy Domergue (Jennifer Jason Leigh) à Red Rock afin qu’elle y soit pendue. Sur son chemin, il croise le major Marquis Warren (Samuel L. Jackson, en mode patron), tout à la fois héros et criminel de guerre, de même que Chris Mannix (Walton Goggins, qui vole la vedette en bouffon de service), fils d’un chef de guerre confédéré se rendant lui aussi à Red Rock, dont il prétend être le nouveau shérif. Talonnée par le blizzard, échangeant copieusement les insultes et les coups, la joyeuse équipe doit finalement s’arrêter à l’étape pour la nuit.

« Comme à son habitude, Tarantino repeint évidemment tout en rouge »

 

Les y attendent le gardien temporaire du relais, Bob le Mexicain (Demian Bichir), ainsi que trois autres voyageurs qu’on devine tous plus ou moins psychopathes : un ancien général confédéré (Bruce Dern), un cowboy taciturne et inquiétant (Michael Madsen) et, par le plus grand des hasards, le bourreau de Red Rock (Tim Roth, reprenant avec maestria le registre distingué et sadique de Christoph Waltz). Dès lors, la table est mise : pendant que s’enchaînent des dialogues aussi tendus que savoureux, on attend le prétexte qui déclenchera l’inévitable pétarade.

Tourné en « glorieux » Ultra Panavision 70, à l’ancienne, The Hateful Eight renferme de superbes images et témoigne d’une réelle maîtrise et d’un amour fou du médium cinématographique. Le jeu des plans est ahurissant, d’une formidable précision, et maintien le spectateur dans un état constant d’éveil et de tension. Quant aux extérieurs, ils sont aussi grandioses qu’écrasants. La musique d’Ennio Morricone, légendaire compagnon de Sergio Leone, ramené aux affaires par Tarantino pour l’occasion, règne d’ailleurs avec puissance sur les étendues glaciales du Wyoming. La bande sonore du maître, certes très classique, atteint pourtant des sommets d’angoisse et construit magnifiquement les atmosphères.

Comme à son habitude, Tarantino repeint évidemment tout en rouge : la violence, absurde et omniprésente, habite tous les personnages, enfermés qu’ils sont dans leur haine de l’autre, leur soif de vengeance et leur méfiance maladive. Certaines scènes sont particulièrement insoutenables : la confrontation entre le nigger (le mot résonne sans cesse) vengeur interprété par Jackson et le raciste amer incarné par le formidable Bruce Dern atteint d’ailleurs des sommets de dureté psychologique. Quant au dernier acte, aussi réussi que celui de Django était raté, il est parfaitement maîtrisé, cruellement drôle, aussi spectaculaire que curieusement émouvant.

« The Hateful Eight, qui aborde le racisme de front, est un monument de sadisme servi par une distribution époustouflante »

 

The Hateful Eight, qui aborde le racisme de front, est un monument de sadisme servi par une distribution époustouflante, une ode vengeresse brutale, absurde, sans concession ni sur la forme, ni sur le fond, un morceau de courage de près de trois heures, qui file à un rythme fou. Tous n’en apprécieront évidemment pas les outrages et les excès scénaristiques ou graphiques. Mais force est d’admettre que Tarantino, cette fois encore, fait mouche.

The Hateful Eight prendra l’affiche à Québec le 1er janvier, en version numérique raccourcie (sans, notamment, l’ouverture musicale d’Ennio Morricone). Ceux qui voudront regarder le film dans sa version et son format originaux devront prendre la route de Montréal, où il est présenté depuis le 25 décembre.

4/5

Auteur / autrice

  • Nathan Murray

    Journaliste culturel dans son Charlevoix natal pendant la saison estivale, Nathan retrouve avec plaisir, au début de chaque année universitaire, les salles sombres de la capitale. Cinéphile assidu, amateur de musique, de littérature et de théâtre, il vogue de concert en spectacle, entre deux livres d’histoire.

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