Théâtre de demain

Courtoisie : Marie-Renée Bourget-Harvey

Encore une fois cette année, le Carrefour international de théâtre offrait aux jeunes créateurs la possibilité de présenter des pièces, laboratoires ou lectures de leurs œuvres en devenir – les fameux Chantiers. Au total, près d’une dizaine de rendez-vous où l’inédit côtoie la découverte. Sélection non-exhaustive de cette cuvée 2012.

Cyril Schreiber

C’est dans un Théâtre Premier Acte bourré que Maxime Robin et sa compagnie La Vierge Folle ont présenté le laboratoire de ce qui sera leur deuxième production, présentée à l’automne prochain dans la même salle : Viande. Sur l’heure et quart que le public pourra voir en saison, quarante minutes, soit le cœur de la pièce, étaient présentées le 1er juin dernier. La réflexion est intéressante : une jeune femme (Noémie O’Farrell) ramène un inconnu (Pierre-Olivier Grondin) chez elle pour passer la nuit avec, mais bien vite celui-ci se retrouve dans les vapes. Le véritable copain de la jeune fille (Jean-Michel Déry), être insensible et froid, s’apprête à lui retirer son rein pour la faculté de médecine de l’université du coin.

Au-delà du gore et de l’horreur que Robin a voulu montrer via l’action et non le dialogue, d’autres thèmes plus subtils sont finement développés ici : les jeux de pouvoir, les rapports de force dominant/dominé, et à la clé cette question, connaît-on vraiment l’autre ? Expérience théâtrale extrême tournant autour de la notion du corps, Viande a cependant souffert de maladresses techniques à éviter et d’une dramaturgie intéressante mais pas encore assez étoffée (la psychologie des personnages, notamment). Mais Maxime Robin et sa troupe sont conscients qu’il reste encore du travail : à ce titre, la discussion avec le public après la courte représentation semble avoir été fructueuse. Viande, en soi, est promise à un bel avenir, dont il faudra constater le résultat final à l’automne. Mais tout l’intérêt d’avoir assisté à ce laboratoire tient dans cette expérience de voir un spectacle prendre vie et peut-être changer de forme dans les prochains mois. Fascinant de voir avant l’heure tout le potentiel (positif, mais aussi négatif) d’une pièce…

Le samedi 2 juin fut mouillé, tout comme le spectacle Clap clap (toujours à Premier Acte), présenté par le Théâtre à Deux, un texte et une mise en scène de Gabriel Plante. Mais c’est surtout les deux jeunes actrices de la pièce, à savoir Alexa-Jeanne Dubé et Marie-Philip Lamarche, qui ont retenues toute l’attention du spectateur. Sur une toile sur laquelle sera projetée autant leurs ombres chinoises que de l’encre et du colorant rouge (sur un rétroprojecteur), tournant autour d’une baignoire à roulettes et d’un tuyau d’arrosage, deux femmes s’affrontent. On comprendra bien vite que c’est un rapport entre un chien et son maître, donc entre dominé et dominant, dont il s’agit ici. Alternant entre amour et haine, entre douceur et violence, les deux interprètes sont tout simplement phénoménales ; leur fusion n’empêche pas la qualité de leur jeu. Clap clap mélange, avec équilibre et brio, physique et psychologique. Un spectacle court mais complet, qu’il ne faudra pas manquer lors d’un éventuel nouveau passage à Québec.

Le Chantier le plus attendu et le plus couru était sans doute Le bain de merZ, entre autres parce qu’il ne se déroulait pas à Premier Acte, mais dans la piscine Lucien-Borne. Du théâtre dans une piscine, il fallait le faire. Dans une mise en scène de Philippe Savard, Le bain de merZ, une production du Club pour l’amélioration de la culture (CAC), est en fait un collage de textes du dadaïste Kurt Schwitters, des extraits d’extraits. Si certains sketchs plus narratifs sont excellents car absurdes jusqu’à la moelle, d’autres, jouant plus sur une poésie sonore où les mots deviennent des sons sans signification, apparaissent comme du grand n’importe quoi. Un Chantier inégal donc, mais original. On aurait aimé un lien un peu moins ténu entre le lieu de représentation et le « propos » de la pièce (même s’il n’y en a officiellement pas), au-delà du défi d’acteur. N’empêche, il faut saluer la performance de Marc Auger Gosselin, Mélissa Bolduc, Jean-Michel Girouard, Anne-Marie Jean, Noémie O’Farrell et Maxime Robin, qui ont dû autant (souvent) nagé que joué en même temps, ce qu’ils ont fait avec panache et efficacité. Il faudra surveiller les prochains spectacles du CAC, car le Club a décidé de faire au moins une représentation merzienne (de Schwitters) par année pendant 10 ans. Un beau pari.

Un autre chantier très couru était L’histoire du soldat sur un texte de Charles-Ferdinand Ramuz et une musique d’Igor Stravinsky. Philippe Cattin, dans sa mise en scène, voulait explorer les liens entre littérature/théâtre, musique, danse et dessin. En a résulte un étrange laboratoire d’une quarantaine de minutes où trois acteurs (Lise Castonguay, la narratrice, Jocelyn Pelletier, le soldat, et l’excellent Réjean Vallée, le diable blanc), trois danseurs et sept musiciens, tout de noir vêtus et maquillés, se sont partagés l’espace pour raconter l’histoire de son soldat qui revient dans son coin de pays après trois ans, et échange malencontreusement son violon avec le diable pour un livre supposément magique. Bizarre et étrange, L’histoire d’un soldat possède un beau potentiel mais manque de symboliques fortes et s’avère donc insuffisant. S’il n’y a rien à redire sur la musique de Stravinsky, c’est tout le contraire pour le texte moyen de Ramuz. À moins que ça ne soit sa mise en scène qui eut été quelque peu ratée. Quoiqu’il en soit, le mélange des genres est certes original, mais a fait perdre un peu le message de cet objet hybride dont la version finale ne sera présentée qu’en 2013.

Pour conclure, une curiosité : un chantier (lecture/laboratoire) d’une pièce déjà programmée pour l’hiver prochain au Théâtre de la Bordée, Scalpée. Autour de la table, sept des artistes faisant partie de l’équipe de création, dont les comédiens Steve Gagnon et Édith Patenaude, ainsi qu’Anne-Marie Olivier (texte et jeu) et Véronique Côté (mise en scène). Cette joyeuse bande s’est réunie au début de la semaine pour amorcer les discussions, le chantier avait lieu samedi soir. Inutile de dire que le projet, très embryonnaire, en est à ses balbutiements. Il y a toutefois quelques fils rouges : la barbarie, la cyberdépendance, le racisme, l’aliénation, la perte. La forme même de ce chantier était intéressante : d’abord une lecture de chacun des textes écrits par les participants portant sur la barbarie (bien souvent moralisateurs d’ailleurs), de mini-conférences sur des faits historiques qui ont inspiré les artistes, et après ce volet lecture, le volet laboratoire, où des extraits de scènes ont été dévoilées. Cette dernière partie, sans doute la meilleure, laissait entrevoir une pièce de théâtre très intéressante, malgré le sujet assez lourd. Ceux qui auront pu voir ce chantier l’auront sans doute en tête lorsqu’ils iront à la Bordée en hiver prochain. Et ils auront sans doute un avantage, une plus-value non-négligeable, sur les autres spectateurs, celle d’avoir vu la pièce se créer. Voilà toute la pertinence de l’existence des Chantiers.

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