Il y a quelques semaines paraissait De la cour au jardin. Transformer son terrain en aménagement écologique et comestible chez Écosociété. Ce guide pratique, écrit par Christelle Guibert et superbement illustré par Orcéine, s’adresse tant aux propriétaires qu’à celles et ceux qui ont la possibilité d’aménager une petite parcelle de terre – un locataire, par exemple. Comment un.e étudiant.e peut-il transformer la plate-bande de gazon au pied des escaliers de son perron en oasis végétale, ou la petite cour arrière à laquelle il a accès en garde-manger ? Voilà des questions auxquelles ce livre, disponible à la Coop Zone de l’Université, répond.
Par Florence Bordeleau-Gagné, journaliste multiplateforme
Le livre s’inscrit, entre autres choses, en réponse à la pandémie de Covid-19, qui a mis en lumière notre dépendance alimentaire à un réseau immense, mondial, sur lequel nous n’avons aucune prise. Et si on s’autonomisait ? Et si on reprenait possession de notre alimentation, de la compréhension du fonctionnement de la terre que l’on foule tous les jours, cachée sous un gazon tondu bien droit et malheureusement bien inutile ? Au-delà de ce souci d’autonomisation (que partagent d’ailleurs les écoféministes – nous en avons parlé dans ce balado), l’autrice souligne aussi que ce livre s’adresse à quiconque désire faire son bout de chemin pour l’adaptation aux changements climatiques. En effet, si le contrôle de l’étalement urbain par la densification des villes comporte son lot d’avantages, comme l’accessibilité aux services et le développement du transport en commun, on ne peut nier qu’elle entraîne la création d’îlots de chaleur. L’asphalte, omniprésent en ville, nuit également à l’écoulement des sols, et est donc propice aux inondations, tandis que la culture intensive de gazon nuit à la biodiversité. Et si on ramenait en ville une panoplie d’autres petits êtres vivants dont la présence constitue une richesse inestimable tant d’un point de vue esthétique que pratique ?
Nos espaces gazonnés : de véritables fontaines de jouvence inexploitées
En introduction, Christelle Guibert, ingénieure de formation et gestionnaire en environnement en Outaouais, va droit au but :
« Dans ce livre, je vous expliquerai de A à Z comment transformer votre bon vieux gazon, une étendue verte bien trop présente dans nos voisinages, par des îlots de verdure productifs. Ces lots pourront être composés selon vos préférences de :
- fruitiers (arbres et arbustes) ;
- vivaces qui produisent des fleurs pour les insectes, de la nourriture pour les humains ou des nutriments pour les plantes voisines ;
- plantes grimpantes décoratives ou produisant des fruits ;
- couvre-sols qui permettent de réduire le désherbage et l’arrosage ;
- plantes médicinales pour vous faire des tisanes ou préparer des décoctions ou des produits cosmétiques maison ;
- plantes annuelles potagères plus classiques qui peuvent s’intégrer à merveille dans votre oasis, surtout pendant les premières années où les vivaces et les arbres et arbustes sont encore petits et grandissent peu à peu. »
Régi par une logique implacable, livrant un contenu à la fois riche et très bien vulgarisé, rendu digeste entre autres par des exemples concrets issus du vécu de l’autrice, ce guide pratique nous guide pas à pas pour la reconversion de notre gazon en petit paradis terrestre. Et elle veille au grain pour les petits portefeuilles :
« Ce guide pratique […] vous servira à planifier et à concevoir votre projet, à vous guider dans l’approvisionnement de matériel et de végétaux, à vous accompagner dans la réalisation de votre projet et à faciliter l’entretien de votre aménagement les années suivantes. Je vous donnerai également des trucs et astuces pour réduire votre budget. Car qui dit aménagement paysager ne veut pas forcément dire vider son portefeuille. »
L’alimentation étant un fait collectif, en un sens, puisque nous sommes toustes rassemblé.es sous l’impératif de l’estomac, Guibert incite à l’esprit de communauté : elle nous invite par exemple à consulter des membres de notre entourage ayant des connaissances avant de se tourner vers des ouvrages de botaniques pour identifier les plantes existant déjà sur le terrain.
Et si on pouvait recréer un système naturel en ville, un système résilient qui s’auto-régulerait?
« En permaculture, écrit Guibert, on parle souvent de la notion très intelligente de “fonctions”. En effet, du point de vue du jardinage en permaculture, chaque plante devrait remplir plusieurs fonctions et chaque fonction devrait être remplie par plusieurs plantes, afin d’assurer la résilience de l’écosystème du jardin lors d’évènements inattendus (sècheresses, maladies, ravageurs ou encore pluies torrentielles). […] Suivre les principes de la permaculture permet de rendre votre aménagement autonome, résilient et durable. »
L’objectif est donc à la fois complexe et simple : il s’agit de comprendre les écosystèmes pour les réimplanter et s’assurer qu’ils soient autonomes – comme dans une superbe prairie sauvage. Par exemple, si des espèces de ravageurs (comme certains scarabées) font leur apparition, il ne faudrait pas chercher à les éradiquer, mais à faire appel à leurs prédateurs naturels en plantant les espèces végétales qu’ils aiment. Les insectes créeront l’équilibre pour les plantes – à terme, quand l’écosystème sera cohérent, nul besoin d’intervention humaine. On peut parfois avoir d’étonnantes surprises, avec lesquelles il faut simplement réapprendre à composer. Quand on est conscient.es des bénéfices naturels de laisser un nid de guêpes se développer sur le terrain, on voit d’un autre œil ces insectes, qui passent rapidement du statut de voisines ennemies à alliées :
« Les guêpes peuvent être à la fois des amies et des ennemies. On les connaît davantage pour leur capacité à nous piquer quand on les approche de trop près, mais elles sont aussi très bénéfiques pour le jardin puisqu’elles nourrissent leurs larves avec des insectes. Il s’agit de réussir à vivre en harmonie avec elles, ce qui est assez facile quand elles ont fait leur nid dans un endroit éloigné des zones de passage. Dans le cas où elles élisent domicile à proximité de vos lieux de vie, il est tout de même possible de cohabiter. Nous avons eu un nid de guêpes enfoui dans le gazon lors d’un été et, dans notre cas, il a suffi de délimiter un périmètre d’un mètre autour du trou avec des piquets et de la corde pour qu’elles ne se sentent pas menacées et mènent leur vie paisiblement. Nous en profitions pour aller les visiter régulièrement et les observer à bonne distance. Dès que les températures froides arrivent, le nid cesse d’être utilisé, et les reines feront un nid ailleurs la saison suivante. En décidant de laisser les guêpes vivre en paix pour profiter de leur présence bénéfique dans le jardin, vous ajustez simplement votre mode de vie à l’extérieur pour une saison. »
Une petite encyclopédie illustrée pour les nul.les
Le texte prend rapidement des allures encyclopédiques. Petites rubriques, schémas, dessins, tout est mis en œuvre pour nous permettre de comprendre efficacement les sols sur lesquels nous vivons et les types de plantes que l’on pourrait y cultiver. Listes, tableaux et calendriers sont là pour alléger la lecture et créer des repères visuels efficaces dans le bouquin – qui est, il faut le dire, assez épais. Il ne faut surtout pas se laisser intimider par les quelque 150 pages de ce volume : elles sont claires, vont droit au but, et donnent envie, définitivement, d’embellir nos petits espaces verts, et ce, au grand bonheur, sans aucun doute, de nos propriétaires! Pourquoi ne pas leur demander un petit budget pour embellir les plates-bandes de leurs immeubles de vivaces, plantes rampantes, médicinales ou odorantes ?