Crédit photo David Mendoza HélaineUne première virée de ce 26e Mois MultiFrédérik Dompierre-Beaulieu et Julianne Campeau·15 février 2025Arts & cultureArts visuelsConcertsCritiquesDanseEn vedetteMusiqueThéâtre Retour sur cette 26e édition du Mois Multi, à thématique COPRS ET EN.JEU.X, notre Festival international d’arts multidisciplinaires et électronique préféré. Accrochez-vous, il y en a pour tous les goûts ! Par Julianne Campeau, journaliste collaboratrice, et Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), cheffe de pupitre aux arts Antifragiles? spectacle où on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs – Julianne « Il faut parfois prendre le parti des accidents, des tempêtes et des naufrages. Surtout, ne pas tenir bon. C’est en prenant des risques, en cassant des assiettes, en ratant notre coup, en marchant sur des œufs, en brisant les règles, en faisant des omelettes que nous pouvons aller ailleurs. » Ces phrases, tirées de la description de l’événement sur le site du mois Multi, résument assez bien la philosophie du spectacle Antifragiles? spectacle de piano. Crédit photo Josiane Bernier Crédit photo Josiane Bernier Crédit photo Josiane Bernier Crédit photo Josiane Bernier À notre entrée à la salle Multi, nous nous retrouvons face à un décor qu’on pourrait qualifier de joyeux bordel. Des graffitis ornent le côté jardin. À l’avant-plan, des stéréos sont soutenues dans les airs par des câbles accrochés au plafond. Au centre, il y a un piano ainsi qu’une table, dont la surface est rendue visible aux spectateur.ices grâce à une projection sur le mur du fond. Une autre projection montre l’écran d’un cellulaire. Un numéro de téléphone est également affiché sur le mur. Avant notre entrée dans la salle, on nous avait dit de bien vouloir garder nos téléphones ouverts. Durant tout le spectacle, il nous est permis d’appeler au numéro affiché et d’envoyer des messages, dont certains seront lus à certains moments, lors de la représentation. Bien que l’événement ait pour nom Antifragiles? spectacle de piano, il ne s’agit pas exactement d’un simple concert de piano. Il y a du piano, certes, mais ce n’est là qu’une des nombreuses composantes du spectacle, qui semble échapper à toute catégorie. On retrouve aussi, entre autres, des performances chantées, un encan, de la danse, des numéros qui n’entrent pas vraiment dans une quelconque catégorie, ainsi que des interactions directes avec le public. La frontière habituelle séparant les artistes du public lors d’un spectacle est assez floue en cette occasion, où l’auditoire a son rôle à jouer dans le déroulement de la performance. Comme je l’ai mentionné plus haut, les spectateur.ices sont invités à envoyer des textos au numéro affiché sur le mur. Ces textos ont amené les interprètes à refaire un numéro qu’un.e spectateur.ice avait bien aimé, ou à donner la permission à un.e autre de venir jeter un œuf sur l’œuvre murale. Parlant d’œufs, certains sont vendus à l’encan lors de la troisième partie de l’événement. Les acheteur.ices sont invité.es à garder leurs œufs en souvenir, ou encore à les lancer sur l’œuvre murale, y contribuant ainsi. Bref, Antifragiles? est un spectacle chaotique qui s’assume complètement dans son chaos. C’est aussi un événement qui semble chercher à se libérer de tout cadre, rejetant les règles habituellement en place lors du spectacle : une des artistes a même commandé une pizza durant le spectacle! Il est également à noter que beaucoup d’œufs ont été blessés lors de la représentation! Pistes…: – Frédérik Femme afrodescendente, qui est née et a grandi en France, Penda Diouf s’envole jusqu’en Namibie, là où sa « petite » histoire rencontre la grande, celle où l’apprentissage de la domination ne se fait pas au « je », mais au « nous ». Pour comprendre nos voisin·es, ceux qui demandent refuge, celles qui immigrent, il est peut‑être nécessaire d’écouter les fantômes qui hantent les déserts de la Namibie. Déjà, notre arrivée dans la salle, comme au compte-gouttes, le temps qu’artistes et public soient prêt.es, nous prépare à la soirée qui s’en vient : projections sur quatre toiles nous entourant, sons, paroles ou chants, lumière tamisées, voire presque éteintes et petites pantoufles pour s’éviter les troubles des bottes mouillées en hiver sont au rendez-vous. Quelqu’un distribue un peu aléatoirement de petits cailloux – je n’en ai pas, mais demeure attentive –, alors qu’une autre personne, que l’on devine comme faisant partie du spectacle, se met à réciter un segment poétique, accompagnée des clinquements d’un carillon fait de clés et en déambulant à travers les spectateur.rices entâssé.es debout plutôt que sagement assis.es, comme le voudrait l’habitude au théâtre. La représentation débute à peine, mais on a l’impression de faire partie de quelque chose. C’est immersif, on sent le pouls du groupe, de l’histoire qui nous attend. La table est mise : les murs tombent, révèlent les estrades, on s’assoit et puis tout (re)commence. Crédit photo David Mendoza Hélaine Crédit photo David Mendoza Hélaine Au fil d’un « je » et d’un « nous » qui s’entremêlent sans cesse, l’on s’accroche aux mouvements et au souffle de Carla Mezquita Honhon. Difficile de la quitter des yeux ; la foule scrute ses moindres faits et gestes, s’essouffle de ses allers-retours, s’abreuve de sa parole. Avec elle, la musique – celle des instruments tout comme du corps – de Flávia Nascimento. Même quand elle ne joue pas activement, elle dégage quelque chose, quelque chose de parfois plus rayonnant, parfois plus posé, mais dans tous les cas, on la sent toujours présente. Je suis impressionnée par la manière dont les performances des deux interprètes se répondent et se complètent. Ça rythme non seulement le spectacle, mais marque aussi une complicité, qui me semble plus relever de l’écoute et de l’échange que de la pure partition chorégraphique. C’est ce qui rend le tout aussi narrativement efficace ; ça frappe au bon moment, sans être dans la surenchère. Personne ne tente d’éclipser l’autre, et c’est aussi vrai pour les manipulations ou la technique, non pas superflues, mais faisant partie intégrante du récit. Crédit photo David Mendoza Hélaine Crédit photo David Mendoza Hélaine Il est vrai que les mots prononcés ne sont pas toujours faciles à entendre, ils nous confrontent tout comme ils nous émerveillent, nous rappellent nos angles morts, déterrent peu à peu l’Histoire d’une Namibie que l’on connaît visiblement trop mal. J’apprends beaucoup; sur les horreurs de la colonisation, sur la résilience, sur ce que le monde a pu être et est encore par-delà les récits et les modèles de l’Occident. On ne passe par quatre chemins, on dit les choses comme elles sont, on ne tente pas de les adoucir ou de les détourner. Rien que les cursus scolaires n’auraient pris le temps de nous faire connaître…Pour tout dire, j’apprécie probablement davantage cette réécriture, plus intime et plus juste, à sa manière éducative mais pas pour autant didactique. Une centaine de minutes, c’est peu pour tout raconter et dire la douleur, mais il y a en Pistes… une brèche qui ouvre la voie à un dialogue, qui plus est un dialogue nécessaire (on dit toujours ça, mais c’est vrai). Sans même avoir besoin de parler, ni qu’on leur dicte tout, les spectateur.rices comprennent, de par l’ambiance et les mains tendues, le rôle qu’iels ont à jouer dans la soirée. On s’approprie des instruments de musique, on va en avant pour célébrer ensemble lorsque le temps est à la fête, on tient les ficelles du récit, puis on retient l’interprète qui s’y accroche, s’assure de ne pas la laisser tomber, on se lève instinctivement pour partager un moment de recueillement. Ça en aura certainement marqué plus d’un.e, moi y comprise. On se parlait sans se parler. En plein Mois de l’Histoire des noir.es, Pistes…, si elle se pose comme une leçon d’humilité, nous montre en plus, à travers la pratique artistique, les formes que peuvent prendre l’affirmation, l’écoute et l’ouverture, à un moment où l’on se sent collectivement déchiré.es par la haine et l’intolérance. C’est aussi ça, le Mois Multi. Les Avalanches – Julianne Une avalanche, c’est quelque chose de soudain, de violent, à laquelle on ne s’attend pas et qui nous ensevelit tout d’un coup. Un peu comme une agression sexuelle. Le spectacle Les Avalanches débute par ce qui a l’air d’une scène de party : les artistes dansent joyeusement sur une musique entraînante. Puis, l’une d’entre elles a de plus en plus de mal à se tenir debout, mais les autres danseuses n’ont pas l’air de la voir. Éventuellement, la musique semble venir de plus en plus loin, et la pièce devient de plus en plus sombre, jusqu’à ce qu’elle se limite à un seul cercle lumineux, nous forçant à regarder la danseuse clouée au sol, qui a l’air de se tortiller de douleur. Crédit photo Julie Artacho Crédit photo Julie Artacho Crédit photo Julie Artacho Par le biais de numéros dansés, de musique et de monologues, le spectacle Les Avalanches tente de rendre compte de la souffrance et de la colère vécues par les victimes d’agressions sexuelles, sentiments auxquels il est difficile de rendre justice avec des mots. L’absence d’écoute, l’aveuglement volontaire, la passivité, toutes ces dures réalités auxquelles font face les victimes sont dénoncées dans ce spectacle d’une heure vingt-cinq, qui brise ce silence injustement imposé. Il s’agit d’une prestation émouvante qui nous renverse par la violence des vérités qu’elle exprime, un peu comme une avalanche. Les Avalanches est un spectacle qui nous montre des choses qu’on ne veut pas toujours voir, mais dont il FAUT pourtant prendre conscience, sans quoi nous vivrons à jamais dans une société malade, qui demande aux victimes de se taire, sans leur donner les moyens de se protéger. Bref, un spectacle à la fois bouleversant et magnifique, dont je ne suis pas sortie indemne. Crédit photo Julie Artacho Crédit photo Julie Artacho Futur_Fatigue – Julianne Fidèle à mon habitude, j’arrive plus d’une demi-heure à l’avance. J’en profite pour me renseigner sur le déroulement de la soirée. Je finis par comprendre qu’il s’agit d’un genre de party durant lequel il y aura certaines performances artistiques. En attendant la première prestation, une session de « jam insolite », prévue pour 20h30, je regarde les œuvres exposées dans la salle. Les sculptures de Kaname Favère attirent mon attention. Je suis comme hypnotisée par celles-ci. Pendant un bon bout de temps, je les fixe, tentant de décider à quoi cela me faisait penser. On dirait des météorites qui, au lieu de foncer à vive allure vers le sol, lévitent dans les airs, émergeant d’une mare goudronneuse. En regardant de plus près, je crois détecter certains morceaux de ferraille accrochés à la roche. Finalement, la session de jam débute vers 20h45. Les deux guitaristes précisent qu’ils ne se connaissent pas, que leur musique sera largement improvisée, et invitent le public à participer à ce jam insolite, s’il le souhaite. Finalement, une seule personne se joindra à la prestation, faisant les percussions à l’aide d’un étui à guitare. Après celle-ci, un des organisateurs nous invite à monter d’un étage, pour une autre performance musicale, quelque peu éclectique. Quelques minutes plus tard, je suis assise sur le plancher de la galerie, en train d’écouter le résultat des expérimentations de Léo Azzaria, un peu distraite par les allées et venues d’un chien dans l’auditoire (oui, les chiens sont permis, à ma plus grande joie). Je n’assiste malheureusement pas au dernier numéro de la soirée (une performance poétique, à ce que j’ai compris) car il est 22h, et j’ai un long trajet d’autobus devant moi. De toute façon, ce n’était peut-être pas un événement pour une personne solitaire comme moi. Certes, j’ai bien apprécié les œuvres et les performances, mais n’étant pas une personne sociable, la période d’environ une demi-heure entre le moment où j’ai eu fait le tour des œuvres et le début des numéros musicaux m’a été quelque peu ennuyeuse… Campeau, J. (2025, 11 février). Sculptures de Kaname Favère Campeau, J. (2025, 11 février). Œuvres de Paulette Darracq Auteurs/autrices Frédérik Dompierre-Beaulieu Voir toutes les publications Julianne Campeau Voir toutes les publications