Moins d’un mois nous sépare des élections présidentielles américaines. L’administration Trump et celle de Kamala Harris sont séparées par une distance infranchissable. Entre les mensonges, les procès et le système électoral désuet, comment ne pas perdre le fil dans cette campagne historique?
Par Marie Tremblay, journaliste multiplateforme
Répercussions directes sur le Canada
Lors du seul débat entre les deux candidats, Kamala Harris soutenait que Donald Trump ne s’est pas réinventé: il nous sort du réchauffé. Concrètement, cela veut dire qu’il promet encore des politiques strictes sur l’immigration, la mise en place de tarifs sur les produits étrangers – même les produits canadiens – et un plan pour remettre l’économie américaine sur pied. De son côté, Harris tentait de rassembler le peuple américain, plus divisé que jamais, et blâmait l’administration Trump pour la défaillance du pays.
De fait, la présidence de Trump (2017-2021) a encore des impacts aujourd’hui, notamment dans l’implication des États-Unis sur le plan international. L’ancien président défendait l’idée « l’Amérique d’abord », un désaccord évident avec le multilatéralisme pratiqué par le pays jusque-là. De nombreux reculs ont marqué sa présidence : retrait du traité de Paris pour l’environnement, retrait de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), retrait de l’accord nucléaire avec l’Iran, retrait du traité sur les forces nucléaires intermédiaires en Europe et fin de plusieurs ententes commerciales, pour n’en nommer que quelques-uns. Pour favoriser son pays, Trump souhaite s’engager le moins possible auprès de ses alliés et favoriser des attentes qui seront nécessairement bénéfiques pour les États-Unis. Avec cette mentalité, établir des compromis est difficile et les impacts sur la scène internationale sont inévitables.
Dans un sondage répondu par trente étudiant.es de l’Université Laval, 60% d’entre-elleux ont répondu être inquiet.es ou très inquiet.es face à l’issue des élections. Cette inquiétude est-elle fondée? Anessa Kimball enseigne la sécurité internationale et la politique étrangère à l’Université Laval en plus de diriger le centre sur la sécurité international à l’École supérieure des études internationales. Elle exprime qu’il va sans aucun doute que les répercussions sur le Canada seront plus importantes si Trump est réélu. Dans un avenir proche, on peut s’attendre à une hausse des prix des produits canadiens, une hausse des tarifs douaniers et même une chute importante du dollar canadien. L’issue des élections fera inévitablement ricochet dans nos portefeuilles.
D’autre part, les luttes qui se jouent aux États-Unis font des vagues qui atteignent les Canadien.nes. Kimball donne l’exemple de l’attaque du Capitole, le 6 janvier 2021. Des milliers de dollars servant au financement de cet acte anti-démocratique provenaient de comptes bancaires canadiens. Par la suite, nous avons tous été témoins du convoi de la liberté qui accusait le gouvernement canadien de dictature. De façon plus large, la professeure Kimball affirme : « On voit que quelque chose qui passe de loin mobilise des évènements ici, des activités, de l’antisémitisme au Canada. ».
À plus long terme, une administration climatosceptique n’est pas dans l’intérêt du Canada qui vise (en théorie) une transition verte. Trump ne perdra pas de temps avant de retirer le financement pour la cause environnementale. Il est important de considérer que les problèmes environnementaux n’ont pas de frontières : nous serons contraint.es géographiquement d’en subir les conséquences.
Par ailleurs, les accords avec les États-Unis sont primordiaux pour le Canada. La puissance américaine nous assure une sécurité. L’attitude préservationniste démontrée par Trump, pourrait « mener à un désir de la réduction des dépenses militaires afin de faire profiter aux Américains du fruit des économies réalisées par l’abandon de l’obligation de défense des alliés » (David et Valet, 2020). Un tel scénario laisserait le Canada complètement vulnérable, incapable de protéger son énorme territoire, face aux nouvelles menaces du monde contemporain. De quoi avoir quelques frissons dans le dos.
Bien sûr, tout cela reste spéculatif, mais il faut rester conscient que le Canada et le Québec sont influencés par la politique américaine.
Une démocratie qui bat de l’aile
Pourquoi Trump refuse-t-il, encore à ce jour, de reconnaitre sa défaite en 2020 face à Biden? La démocratie des États-Unis est en péril. Comme beaucoup de choses aux États-Unis, son fonctionnement a été établi lors de l’indépendance du pays. Les Pères fondateurs ont mis en place un système de suffrage universel indirect, car ils ne faisaient pas assez confiance au peuple pour élire un président. Les citoyens votent donc pour des représentants, les grands électeurs, qui forment le collège électoral. Par la suite, les 538 membres du collège électoral élisent le président. Chaque État possède un nombre de grands électeurs en fonction de sa démographie. Toutefois, le nombre de grands électeurs élus par États n’est pas proportionnel au vote populaire. Par exemple, en Pennsylvanie, il a 19 grands électeurs. Si les républicains obtiennent 55% du suffrage universel, ils récoltent 100% des grands électeurs. Le Maine et le Nebraska sont les seuls États à répartir le nombre de grands électeurs proportionnellement au vote populaire.
Pour accéder à la maison blanche, il faut remporter 270 grands électeurs. À plusieurs reprises, un président fut élu en perdant le vote populaire. Le principe du gagnant récolte tout est ce qui rend les États pivots si décisifs à chaque élection. C’est un souque à la corde entre républicains et démocrates pour la totalité des votes. En plus d’être non représentatif de l’opinion populaire, ce système favorise le bipartisme. Des petits partis d’opposition n’obtiendront jamais de représentation au gouvernement.
Le système électoral est loin d’être la seule maladie grugeant la démocratie américaine. Les nombreuses campagnes de désinformations font du vote éclairé un véritable défi. L’arrivée de l’intelligence artificielle contribue au brouhaha d’informations qui circulent sur les plateformes. Trump, lui-même, a publié sur X une image générée par IA affirmant être supporté par Taylor Swift (ce qui n’est absolument pas le cas). On peut se douter de la confusion, mais aussi de la méfiance des électeur.rices dans un tel climat. Les règles du jeu ne sont plus importantes, Trump tente plutôt de les contrôler pour son bénéfice personnel.
À quoi s’attendre
La majorité des étudiant.es sondé.es prédisent la victoire de Kamala Harris. C’est un rendez-vous le 5 novembre pour connaître le nouveau ou la nouvelle président.e. des États-Unis. La transition de la présidence ne sera pas une mince affaire. En cas de défaite, rien n’empêchera Trump de crier à des élections truquées. Nos voisins du Sud ne sont pas dans une situation enviable, mais professeure Kimball nous met en garde : ne soyons pas si naïfs de penser que ce genre de situation ne traversera jamais la frontière.
Sur une autre note, vérifiez toujours la source de vos informations, même Chat GPT peut se tromper.
Références
David et Vallet. (2020). Comment Trump a-t-il changé le monde? CNRS Editions, 108 pages.
Lisée, Jean-François. (2024). Prêts pour l’effet Trump? Le Devoir. https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/820760/chronique-prets-effet-trump
Valois-Nadeau, Benoit. (2024). Comment sont choisis les grands électeurs et pourquoi ce système n’a-t-il pas évolué depuis près de 250 ans? Le Devoir. https://www.ledevoir.com/monde/etats-unis/816164/comment-sont-choisis-grands-electeurs-pourquoi-ce-systeme-il-pas-evolue-depuis-pres-250-ans
Breteau, Pierre. Le Monde. (2024). Élections présidentielles américaines 2024 : Tout comprendre aux swing states. Le Monde. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/08/18/elections-presidentielles-americaines-2024-tout-comprendre-aux-swing-states_6285188_4355770
Radio-Canada. (2024). Débat entre Trump et Harris pour la présidentielle américaine. https://ici.radio-canada.ca/info/en-direct/1011951/debat-trump-harris-presidentielle-americaine
