Centre des congrès de Québec | 2022-06 | Photo: Dany VACHON | Image #002067

La recherche aux cycles supérieurs, un parcours du combattant?

Préoccupé par le bien-être de ses pairs, Impact Campus a cherché à en savoir plus sur ce parcours du combattant dans lequel se sont lancé.es les étudiant.es des 2e et 3e cycles en recherche. Dans un questionnaire diffusé sur le campus, les étudiant.es concerné.es dressent un portrait nuancé de leur réalité. Allant d’un engagement tenace malgré les embûches à une détresse tangible, tous dénoncent des retards imprévus dans leur parcours. Pourquoi à l’Université Laval ces études en recherche se transforment parfois en calvaire ?

Par Camille Sainson et Léon Bodier, journalistes multiplateformes

Sondage auprès des étudiant.es 

Ajoutés aux exigences universitaires (nombres de crédits à compléter, stages, travaux hybrides, heures en laboratoires, etc.), se sont les difficultés financières forçant les étudiant.es à multiplier les emplois qui explique ces délais de graduation. Un.e étudiant.e en sciences sociales expose sa détresse à ce sujet, « Surchargé et dépassé, la charge de travail des cours, des stages cliniques, du projet de recherche (les dates limites), le besoin de travailler énormément pour joindre les deux bouts, l’absence et le retrait des bourses pour soutenir les étudiants en psychologie épuise les étudiants qui ne peuvent pas bénéficier de soutien financier de leur famille. » Les premiers changements dans les structures d’accompagnement pourraient donc d’abord passer par une augmentation du soutien aux étudiant.es en difficulté — notamment par des bourses d’urgence et des partenariats avec des employeurs sur le campus — qui atténuerait la pression économique et leur permettrait donc de se concentrer sur le monde académique.

En l’absence d’options tangibles proposées, nombreux.ses sont celleux qui ignorent ce que l’avenir leur réserve post-graduation. La voie professorale est parfois la seule mentionnée, bien que présentée comme très peu accessible, révélant une grande incertitude face aux débouchés. Ainsi, une meilleure préparation à l’après-diplôme pourrait largement aider à atténuer le sentiment que la précarité se poursuivra forcément après l’université. On peut penser à des services d’orientation intégrés, des ateliers sur la transition professionnelle et un lien plus fort avec le monde du travail.

Cependant, la vraie pierre angulaire du problème est de toute évidence le besoin de révision des exigences administratives et professorales, souvent accusées d’inégalement soutenir les étudiant.es au cours de leur progression. « Si j’avais le choix, j’aurais abandonné à cause de la réactivité de la prof et du temps que ça a pris. », confie un.e étudiant.e en droit, soulignant le fort sentiment d’isolement et le manque de reconnaissance généralisée parmi les cycles supérieurs en recherche. Il semble nécessaire d’exiger un encadrement plus soutenu de la part des directions de recherche, avec des suivis réguliers et obligatoires afin d’assurer un accès équitable et une réelle disponibilité des professeur.es.

Il ne suffit pas de compter sur la résignation des étudiant·es à terminer leurs études en raison du temps et de l’argent déjà investis, d’autant plus que cet accès n’est pas donné à tout le monde. En effet, la présence stable d’un.e directeur.rice à ses côtés est dans tous les cas indiquée comme l’élément faisant la différence entre une recherche aboutie et un abandon. 

Un cas parmi d’autres ? 

C’est le cas de cette étudiante, désireuse de partager son ressenti avec Impact Campus après un trajet d’étude désastreux au doctorat en cinéma. Laissée sans encadrement à la suite de l’arrêt maladie de sa directrice de recherche, elle a dû faire face à une série de bavures institutionnelles.

« Je n’ai été encadrée que trois mois avant que la grève éclate, puis elle [sa directrice] est tombée malade », explique-t-elle. L’information officielle concernant l’absence prolongée de sa directrice ne lui est parvenue que par une réponse automatique à ses courriels inquiets : « Je reçois un mail qui dit “absence motivée à durée indéterminée”, et c’est tout. »

Malgré ses démarches répétées, aucun plan de soutien n’a été mis en place. « J’ai écrit à la direction, on m’a dit qu’il fallait apprendre à se débrouiller seule au doctorat. J’étais littéralement en train de m’effondrer. » ​​Elle avait pourtant validé tous ses crédits de cours avec d’excellentes notes et son projet de recherche avait été accepté par sa directrice avant la grève. Ce projet, pourtant conforme à la méthodologie exigée à Laval (quinze pages avant les examens doctoraux), a été transmis, sans son consentement éclairé, à une professeure de Sherbrooke, qui l’a refusé en invoquant un format inapproprié. Un retour logique pour Sherbrooke, car la professeure s’attendait à recevoir un examen doctoral, un document généralement plus long et produit plus tard dans le parcours des étudiant.es au troisième cycle. Au cours de l’été 2023, la professeure de l’Université de Sherbrooke ayant refusé une première fois le projet a tout de même aidé l’étudiante à réécrire son examen doctoral, alors que le projet de thèse n’avait même pas encore été officiellement évalué par un comité de Laval. Après plusieurs semaines de réécriture, le document a finalement été jugé conforme aux exigences d’un examen doctoral de Sherbrooke. L’étudiante a donc soumis à nouveau son projet-examen-doctoral. C’est au début de l’automne 2023 qu’elle a appris que son projet avait été refusé une seconde fois sans avoir accès à des commentaires. « Je n’ai jamais reçu de commentaire officiel. Juste un refus », nous confie-t-elle. Dans le programme de troisième cycle en cinéma, un deuxième refus d’un même projet de thèse est lourd de conséquences : l’étudiant.e doit soit changer de projet de recherche ou retourner au deuxième cycle. 

À ce stade-là, l’Université ne lui a pas proposé de solution ni de direction de remplacement. Elle a tenté, sans succès, de contacter plusieurs professeur.es qui ont refusé, invoquant une surcharge ou une incompétence dans son domaine : « J’ai écrit à tout le monde, personne ne voulait me prendre. » Ce manque d’encadrement a eu des répercussions immédiates : perte d’accès aux bourses, isolement et impossibilité de faire valider son projet de thèse, pourtant conforme aux directives initiales : « J’ai littéralement suivi toutes les consignes qu’on m’avait données. Et au final, on m’a proposé de passer en mémoire. Hors de question. » Pas de chance non plus quand elle s’informe auprès de l’UQAM pour changer d’université: « Mes crédits, bien que complets, devaient être recommencés à zéro, impliquant de tout repayer. »

Un sentiment d’injustice traverse son récit, notamment lorsqu’elle aborde les promesses d’emplois non tenues et les opportunités manquées : « Mon projet de thèse était bon — un professeur me l’a dit. Mais tout a été bloqué. Je n’avais plus de direction, plus de soutien, et surtout, plus de reconnaissance. » La détresse émotionnelle qu’elle a traversée est palpable : « Je revenais de France, je n’avais plus de bourse, plus d’encadrement, plus rien. Je pleurais tous les jours. » Après avoir pris un emploi à la bibliothèque de l’Université pour continuer ses recherches (un emploi décroché seule sans l’aide de la faculté, avec un rythme de 6 jours sur 7 de travail), l’étudiante épuisée est finalement rentrée en France. 

Le témoignage soulève une question centrale : quelles structures l’Université Laval met-elle en place pour accompagner ses chercheur·euses quand le système s’effondre autour d’elleux ? « On paye 10 000 dollars par an pour quoi ? Pour se débrouiller seule ? » demande-t-elle. Pourtant, elle conclut avec une lucidité qui donne tout son poids à ce dossier : « Je ne suis pas partie, parce que je n’étais pas compétente. Je suis partie, parce que le système n’a pas voulu me garder. »

Disparités entre facultés ?

Ce cas de figure nous rappelle que malheureusement, les parcours aux cycles supérieurs sont semés d’embûches et révèlent des disparités frappantes entre les facultés, comme en attestent les chiffres fournis par l’Université Laval. Si certains programmes brillent par leurs taux de diplomation et leur efficacité, d’autres peinent à retenir leurs étudiant.es. Pourquoi une telle différence? Le financement, la structure des programmes et l’encadrement académique pourraient bien être au cœur du problème.

Prenons les chiffres : en pharmacie ou en architecture, près de 80 % des doctorant.es obtiennent leur diplôme. À l’inverse, en philosophie et en lettres et sciences humaines, les taux d’abandon grimpent respectivement à 42,9 % et 58,3 %. Ces disciplines semblent poser des défis particuliers. Mais est-ce uniquement une question de difficulté académique? Pas si sûr. Le financement joue un rôle crucial. À la Faculté des lettres et sciences humaines, les bourses de cheminement s’élèvent à 15 000$ pour l’entièreté du parcours doctoral, chiffre modeste comparé aux 36 000 $ de la Faculté des sciences de l’administration (cumul des bourses d’admission, de progression et d’appui à la réussite). Une telle différence peut influencer la capacité des étudiant.es à se concentrer sur leurs études plutôt que sur des emplois à temps partiel.

Et que dire de la durée du cheminement ? Une maîtrise en droit se boucle en moyenne en 1,6 an, contre presque 4 ans en philosophie ou en éducation. Au doctorat, la pharmacie affiche une durée moyenne de 4,3 ans, tandis que les lettres et sciences humaines dépassent souvent les 6 ans. Ces écarts reflètent non seulement la complexité des projets de recherche, mais aussi l’organisation même des programmes.

Enfin, l’encadrement semble jouer un rôle déterminant. Les domaines avec un suivi structuré favorisent une progression rapide. Alors, comment expliquer ces disparités? Peut-être faudrait-il harmoniser les ressources entre les facultés pour offrir à tous les étudiant.es un soutien équitable et adapté. Car au fond, chaque étudiant.e mérite d’avoir les moyens de réussir – peu importe sa discipline.

Lors de notre rencontre avec Pascale Fleury, doyenne de la Faculté des lettres et sciences humaines, nous plongeons au cœur d’une réalité complexe. Oui, les taux d’abandon en philosophie et en lettres font mal, surtout quand on les compare aux succès de la pharmacie ou de l’architecture. Mais, selon elle, ce n’est pas une fatalité propre à l’Université Laval : ces disciplines, souvent non professionnalisantes, peinent partout au Québec. Le nerf de la guerre? Le financement. Pas de bourses systématiques, des étudiant.es qui doivent jongler avec des emplois pour joindre les deux bouts… Forcément, les crises existentielles guettent, surtout au moment de rédiger la thèse.

Pourtant, la doyenne se veut rassurante : une fois le diplôme en poche, les taux de placement sont excellents, que ce soit à l’université, au cégep ou ailleurs. Le problème serait donc ailleurs, dans un questionnement profond sur l’utilité d’un doctorat. Mais la faculté ne reste pas les bras croisés. Remanier les programmes, soutenir les associations étudiantes, former les nouveaux professeurs à mieux encadrer leurs étudiant.es, remettre en place des bourses d’appui à la maîtrise… Autant de pistes explorées pour redonner du souffle aux cycles supérieurs. Et si la solution passait aussi par une réflexion collective sur la valeur de ces disciplines, souvent perçues comme moins « rentables », mais pourtant essentielles à notre société?

« Il faudrait un indice du bonheur à la place d’un indice de diplomation »

Le parcours au doctorat est donc loin d’être un long fleuve tranquille et il reste du chemin à parcourir pour que son cheminement soit optimal, tant en termes de performance scolaire que d’épanouissement personnel. Pascale Fleury rappelle que, finalement, « ce n’est pas le taux de diplomation qui est indicateur si ça se passe bien ou si ça ne se passe pas bien. Si les gens ont eu une bonne expérience, mais quittent quand même, c’est parfait. Ils sont venus chercher ce dont ils avaient besoin. (…) On essaie d’améliorer le taux d’abandon, mais surtout dans une perspective de bien-être. Que ce soit un parcours satisfaisant, stimulant, motivant pour tout le monde. »

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