L’écoulement du temps nous paraît simple dans notre quotidien. Les secondes deviennent des minutes, puis des heures et des jours. Pour peu que nos montres fonctionnent, nous aurons tous la même définition d’une minute. Cependant, dans le monde de la physique, les choses deviennent bien plus complexes.
Par Ludovic Dufour, journaliste collaborateur
Bien que Newton définisse le temps comme étant universel en tous points de l’univers, la théorie de la relativité a su démontrer que ce n’était pas le cas. Le temps s’écoule donc différemment selon la gravité et la vitesse à laquelle les objets voyagent. Du moins, il semble être différent, car ce voyage dans le temps n’a de sens que pour un observateur extérieur, en un sens il n’est pas réel. Par exemple, un astronaute à bord de la Station spatiale internationale orbite autour de la terre à environ 27 600 km/h ce qui « ralentit » son temps par rapport à un observateur terrestre. Cela ne veut pourtant pas dire qu’une heure pour lui semble une éternité. En fait, l’astronaute ne se rend compte de rien.
En bref, il est impossible de voyager dans son temps propre, mais il est possible de voyager dans le temps des autres. Maxime Le Nagard décrit, dans les collections Science et Univers, la relativité restreinte comme étant la théorie la plus mal expliquée qui soit. Ainsi, contrairement à l’idée simplifiée d’un temps universel qui ralentit vis-à-vis d’une vitesse élevée, la réalité s’apparente plutôt à une multitude de temps, chaque observateur possédant son propre temps.
Si tout cela peut sembler bien complexe, un principe simple persiste : le temps avance toujours. Un autre constat en apparence bien simple, mais en réalité très complexe au point de vue scientifique, car si tout le monde s’entend sur celui-ci, personne ne comprend pourquoi il avance. Pour résoudre ce mystère, plusieurs physiciens avancent différentes théories du « moteur du temps ».
« L’univers-bloc » : il n’y a pas de moteur
S’il est si complexe de comprendre pourquoi le temps avance d’un angle physique, c’est parce que les équations sont toujours exactes et ce peu importe ce qui arrive avec le temps. Si, en pratique, elles ne sont pas réversibles parce que le temps avance bel et bien, théoriquement elles pourraient être effectuées à l’envers sans problème. En bref, les lois de la physique pourraient fonctionner à reculons, alors pourquoi avance-t-on ?
En se basant sur la théorie de la relativité, certains physiciens dits relativistes, tels que Thibault Damour, professeur à l’Institut des hautes études scientifiques, affirment qu’il n’y a tout simplement pas de moteur. Le temps qui passe serait tout simplement une illusion éphémère, un mirage de l’esprit. Dans une entrevue avec Usbek&Rica, il illustre le temps « comme des paquets de cartes empilées les unes sur les autres. Les cartes sont comme des photographies du passé, du présent et du futur, qui coexistent. Il n’y a pas de quelque chose qui s’écoule ». Alors comment se fait-il que nous connaissions le passé, mais pas le présent ? « C’est à cause de la deuxième loi de la thermodynamique : l’état de l’univers dans le passé était probablement ordonné et il tend à se désordonner. C’est ce passage de l’ordre au désordre qui donne, à travers les fonctions cérébrales et neurologiques, la mémoire, et cette impression que le temps s’écoule. En réalité, la rivière du temps est gelée. »
En résumé, seule notre présence déterminerait ce qui est le présent, le futur lui est déjà déterminé. Ce qui veut dire que les voyages dans le temps seraient parfaitement possibles. Cependant, Étienne Klein, philosophe des sciences, met en doute ces affirmations dans une autre entrevue d’Usbek&Rica. En fait, la théorie de l’univers-bloc repose sur la théorie de la relativité générale qui ne considère que la gravitation. Puisqu’elle ne considère que la gravitation, elle n’est pas une théorie complète de l’univers, en tirer des conclusions revient donc à tirer des conclusions d’une théorie partielle, ce qui risque de donner des résultats partiels, voire erronés.
La deuxième loi de la thermodynamique, l’entropie
La deuxième loi de la thermodynamique dicte qu’un système fermé ne peut aller que de l’ordonné vers le désordonné, soit de l’entropie basse vers une entropie élevée. Par exemple, lorsque l’on mélange du lait dans du café, l’entropie est d’abord basse, le lait se distingue bien, puis il se mélange et le café devient homogène, donc son entropie devient élevée.
Quel rapport avec le temps ? Contrairement aux autres lois de la physique, celle-ci n’est pas réversible. L’entropie ne va qu’en augmentant, l’inverse est impossible dans un système fermé. Si nous prenons l’univers comme un système à entropie basse se dirigeant vers une entropie élevée, nous pourrions expliquer que le temps va toujours en avançant vers cet état. Ce serait donc l’entropie qui serait à l’origine du passage du temps.
Le problème, c’est que pour que cela soit vrai, il faudrait que l’univers soit apparu dans un état à entropie basse, relève le physicien Sean Carroll dans un article de la BBC. Seulement, de ce que l’on sait des débuts de l’univers, l’entropie y semble plus élevée qu’elle l’est aujourd’hui. Après l’explosion du Big Bang, du gaz est répandu dans l’univers, mais plutôt que de continuer à se répandre, il se regroupe en étoiles, ce qui va à l’encontre de l’entropie. Il semble que la gravité influence l’entropie d’une manière que l’on ne comprend pas encore tout à fait. De plus, comme Le Nagard l’explique, l’entropie ne fonctionne pas à l’échelle microscopique, où les molécules sont gouvernées par d’autres lois réversibles. Pourtant le temps s’écoule de manière tout aussi linéaire à cette échelle.
D’autres hypothèses ont été lancées pour répondre à la question. Stephen Hawking croyait que l’expansion de l’univers pouvait être ce moteur. Le mathématicien Alain Connes croit pouvoir résoudre ce mystère par la géométrie non commutative. Toutes les théories voulant expliquer pourquoi le temps avance ont cette caractéristique commune : leur incomplétude. Aussi simple que le temps puisse nous paraître, nous ne le comprenons pas vraiment. Les physiciens n’ont pas encore de réponse satisfaisante à cette énigme. Aurons-nous seulement une réponse un jour ? Seul le temps nous le dira .