La démocratie en suspens en Égypte

Deux ans et demi après la chute de Moubarak, l’Égypte se retrouve à nouveau avec un régime militaire. Les Frères musulmans, pourchassés, sont retournés à la clandestinité.

Jérémie Lebel

Au tout début du mois de juillet, des millions d’Égyptiens ont manifesté pour réclamer le départ du premier président élu depuis la révolution. Mohammed Morsi, issu du mouvement des Frères musulmans, avait irrité en gouvernant de manière intransigeante. En particulier, le processus d’écriture de la nouvelle constitution, adoptée en décembre 2012, avait soulevé l’indignation de nombreux parlementaires chrétiens ou libéraux. À la faveur des manifestations contre le président Morsi, l’armée égyptienne l’a destitué et arrêté le 3 juillet dernier, en plus de célébrer le retour à l’état d’urgence. Le coup d’état militaire a été approuvé par plusieurs acteurs influents de la scène politique égyptienne, dont le grand imam de l’université islamique Al Azhar et le pape de l’église copte. L’armée égyptienne refuse d’appeler son intervention un coup d’État, disant agir au nom du peuple.

Les Frères musulmans ont réagi au putsch en organisant des manifestations et des campements dans plusieurs villes du pays. Au Caire, des milliers de membres et sympathisants ont campé sur la place Rabia Al Adawiyya, jusqu’à ce que l’armée intervienne le 14 août pour les en déloger en tirant à balles réelles. La répression sur cette place et ailleurs aurait fait au-delà de 1 000 morts. Selon l’armée, les Frères musulmans sont une organisation terroriste qui doit être abattue. Le 20 août, l’armée a d’ailleurs arrêté le guide suprême de la confrérie, Mohammed Badie. Les trois principaux chefs des Frères musulmans ont été inculpés pour « incitation au meurtre ». Au moins 2 000 autres membres de l’organisation ont été arrêtés. La constitution adoptée en 2012 a été suspendue.

Le gouvernement mis en place par l’armée est un mélange de gestionnaires respectés et de figures de l’ancien régime, parfois avec du sang sur les mains. Le président par intérim, Adli Mansour, a été juge de la Cour suprême constitutionnelle égyptienne sous Moubarak de 1992 à 2013. Son premier ministre, Hassem Al Biblawi, est un économiste. Mohammed El Baradei, ancien responsable de l’Agence internationale de l’énergie atomique et prix Nobel de la paix 2005, fut nommé vice-président, mais a démissionné le 14 août pour protester contre la violence de la répression militaire. Les ministres détenteurs de portfolios moins visibles sont pour l’essentiel des anciens de Moubarak, le plus impopulaire étant Adel Labib, ministre du développement, un général de police qui avait acquis une réputation de cruauté lors de son mandat comme gouverneur d’Alexandrie durant les dernières années du régime de Moubarak. Sur 25 gouverneurs nommés en août, 19 sont des généraux de la police ou de l’armée.

Depuis le régime de Nasser, entre 1956 et 1970, l’armée a constitué le principal pilier de l’État égyptien, en plus d’être un investisseur et un producteur dans une gamme impressionnante de produits allant littéralement des nouilles au ciment, comme le veut une expression égyptienne. L’armée se targue d’avoir le soutien du peuple égyptien, une affirmation qui n’est pas dénuée de vérité. Abdel Fattah Al Sassi, le chef des forces armées, soutient répondre à l’appel du peuple et nie toute ambition personnelle au pouvoir. L’action de ses troupes montre à tout le moins que l’armée ne s’est pas encore départie de ses vieux réflexes.

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