Frédérick Lavoie est âgé de 24 ans quand il quitte les bancs de l’Université Laval, fort d’un baccalauréat en communication publique et d’une maîtrise en journalisme international. Le jeune professionnel de l’information qu’il est se passionne très tôt pour la presse de niveau mondial. La rigueur et la minutie de son travail au Belarus, en Russie, en Inde et, plus récemment, en Ukraine, font de lui un journaliste indépendant estimé de ses pairs. Dans le cadre du lancement de son nouveau livre Ukraine à fragmentation, Impact Campus est allé à sa rencontre.
Q : Qu’est-ce qui vous a donné envie de foncer en journalisme international ?
R : Je m’intéresse très tôt au domaine journalistique, que je découvre dans le cours des métiers de la communication, donné par Florian Sauvageau, à l’époque. C’est le jour où il m’a expliqué les principes du journalisme que j’ai eu envie de foncer. J’ai compris pourquoi j’étais assis sur cette chaise. Puis, j’ai pris rapidement goût au journalisme international lors d’une session universitaire à Moscou, en Russie. J’ai commencé là-bas à mélanger un désir de l’étranger et une passion pour l’écriture.
Q : Quelles ont été vos premières expériences du métier ?
R : Pendant mon baccalauréat, je n’ai vraiment pas chômé. J’ai obtenu un stage au Quotidien, chez moi, à Chicoutimi, et puis à La Presse. Je voyageais énormément et je produisais déjà mon propre contenu. Avant même de finir mes études, j’avais déjà quelques reportages à l’étranger en tant que pigiste à mon actif. Trois ans plus tard, je suis entré à la maîtrise avec un objectif précis. Je souhaitais approfondir mes connaissances journalistiques, car je ne voulais pas seulement être un praticien, mais aussi un penseur, qui réfléchit sur le journalisme.
Q : Vous êtes emprisonné, en 2006, à Minsk, au Belarus. Qu’avez-vous tiré de l’expérience ?
R : Je couvrais là-bas une manifestation à titre de pigiste, à 22 ans seulement. J’ai été intercepté par les autorités policières et condamné à deux semaines d’emprisonnement. En revenant sur les événements, j’aimerais préciser que cet événement n’a aucun rapport avec ce que je suis. Même si tu apprends des choses d’un passage en prison, j’ai surtout vu la chose comme une expérience journalistique et humaine. En fin de compte, cette aventure aura un bon chapitre d’introduction pour mon premier livre.
Q : Vous habitez la Russie jusqu’en 2012. À peine revenu, vous repartez vers l’Inde. Pourquoi ?
R : J’ai effectivement habité à Moscou pendant quatre ans et demi, à titre de correspondant à l’étranger. Le pigiste en moi a pris la décision de quitter la Russie, en 2012, tout juste après la réélection de Vladimir Poutine. Je voulais simplement aller voir ailleurs et, pour moi, l’Inde était une façon de renouveler le contexte dans lequel je travaillais. C’était un nouveau défi que d’explorer un géant de l’humanité dont j’ignorais les dimensions. J’ai logé à Bombay, la capitale économique, pendant deux ans. Mon arrivée en Inde a coïncidé avec le viol collectif d’une jeune femme dans un autobus. Ça a beaucoup fait jaser dans les médias. La réalité m’a ainsi amené à parler souvent des enjeux liés aux femmes, mais aussi des inégalités sociales et des élections.
Q : Quel est le propos de votre nouvel ouvrage « Ukraine à fragmentation » ?
R : Le concept de fragmentation est une référence aux bombes à fragmentation, utilisées en Ukraine, et ce, même si des traités internationaux et plusieurs organisations humanitaires l’interdisent. Il y a aussi l’idée que l’Ukraine est en train de se fragmenter en raison de la guerre, ou plutôt de tout le processus qui y a mené. Mon but, c’est d’y expliquer les mécanismes qui ont fait qu’un pays en paix comme l’Ukraine, qui n’aurait pas dû connaître la guerre, a plongé dans un grave conflit. C’est aussi de démontrer que chaque personne qui entretient cette guerre, qui n’essaie pas de créer la paix, est coupable de la poursuite des événements. J’ai voulu montrer les différentes facettes du conflit, les torts de chacun, puisque ce n’est pas en étant unilatéral, d’un côté ou de l’autre, qu’on vient à bout des crises sociales.
Q : Qui est Artyom, l’enfant auquel vous adressez plusieurs de vos propos dans le livre ?
R : Artyom est la victime innocente de la guerre. Il est comme le petit Aylan, sur les plages de Turquie, lui a été la victime innocente de la crise des migrants. Il y a des petits Artyom des deux côtés des lignes de front dans de tels conflits. Personne ne veut que des enfants meurent dans une guerre. J’essaie de montrer qu’il faut donc trouver des solutions pour que ça n’arrive plus. Artyom symbolise la culpabilité collective dans une guerre où il est immoral de prendre position de manière unilatérale.
Q : À la lumière de vos expériences, comment qualifieriez-vous la vie d’un journaliste indépendant ?
R : Être journaliste indépendant, c’est faire peser les risques financiers sur ses épaules. Je n’attends pas que l’on me finance pour partir sur le terrain. Je pars couvrir, j’imagine comment je peux rentabiliser mes reportages. Et c’est très possible. Pour cause, tous mes reportages depuis le début sont rentables. C’est aussi parce que je fais des sacrifices. Je couche sur des divans, je diminue les coûts de transport. Il faut diminuer pour rentabiliser les reportages, puisque personne ne nous finance. Je le fais, parce que j’ai envie de conserver cette liberté. J’en profite pour souligner que les journalistes indépendants sont les premières victimes des coupes dans les entreprises médiatiques comme, récemment, à La Presse. Avant de congédier ses propres employés, on coupe les collaborations extérieures.
Q : L’Ukraine est-elle devenue dangereuse pour les journalistes ?
R : L’Ukraine est beaucoup moins dangereuse que bien d’autres pays. Le conflit là-bas est l’un des seuls encore traditionnels, avec une ligne de front, certes changeante, mais existante. En Syrie, par exemple, il y a des risques d’enlèvement, d’assaut, sans même être dans la zone de guerre. De tels endroits sont plus difficiles pour des journalistes. Pour cela, l’Ukraine est beaucoup moins dangereuse. Il est néanmoins de plus en plus difficile de couvrir l’actualité ukrainienne. Le pays a notamment mis sur pied une liste noire des journalistes étrangers qu’il ne veut plus avoir sur son territoire.
Ukraine à fragmentation (La Peuplade), le nouveau livre de Frédérick Lavoie, est en vente partout en librairie au Québec et sur le Web.