Israël en attente d’un gouvernement

Pour la première fois depuis des lustres, le gouvernement israélien pourrait être entièrement composé de partis politiques laïques. Selon les scénarios les plus probables, Kadima, avec 28 sièges et dirigé par Tzipi Livni, le Likoud de Benyamin Netanyahou, avec 27 députés, ainsi que le Parti travailliste de l’ex-premier ministre Ehud Barak, avec 13 sièges, auront à trouver un terrain d’entente pour former un gouvernement. C’est du moins ce que croit Alon Ben-Meir, professeur à la New York University’s School of Global Affairs : «Je peux imaginer un scénario où Kadima, le Likoud et les travaillistes puissent former un gouvernement. Idéologiquement, il y a un nombre important de similarités entre eux. Il y a beaucoup de dénominateurs communs. Après tout, Kadima provient du Parti travailliste et du Likoud.»

Un scénario semblable forcerait Tzipi Livni et Benyamin Netanyahou à se partager les rênes du pouvoir, advenant l’éventualité où la coalition survivrait aux quatre années de son mandat. Cette dichotomie ne serait pourtant pas une première en Israël. Au début des années 1990, l’actuel président, Shimon Peres, alors chef du Likoud, avait partagé le poste de premier ministre avec Yithzak Shamir, chef du Parti travailliste. Chacun avait exercé le rôle de chef du gouvernement pour une durée de deux ans. D’ailleurs, au moment de mettre sous presse, Kadima avait posé la rotation des pouvoirs comme condition à une éventuelle coalition avec le Likoud, sans quoi le parti irait dans l’opposition.

De son côté, Jean-Pierre Derriennic, professeur au Département de science politique de l’Université Laval, croit que Kadima aurait beaucoup à perdre d’une telle coalition : «C’est en quelque sorte un suicide pour Kadima. Ça se traduirait par une perte nette de son électorat […] Ce que l’on peut prédire, c’est que ce sera une coalition de droite, comme celles que l’on a eues dans les années 1990.»

L’énigme Lieberman
Dans cette élection qui a permis à la droite israélienne de reprendre plusieurs sièges à la Knesset, la montée d’Avidgor Lieberman, chef du parti ultra-nationaliste Israël Beitenou, brouille les cartes d’un paysage politique déjà complexe. Indispensable au Likoud pour former une coalition de droite, rien n’est acquis pour celui qui a proposé, au cours de la campagne électorale, d’obliger les Arabes israéliens à prêter serment de loyauté à l’État hébreu. Son slogan de campagne, «Sans loyauté, il n’y a pas de citoyenneté», qui a trouvé écho dans les urnes, a cependant refroidi la communauté internationale. Sans compter que le leader d’origine russe ait été accusé, à la fin du mois de janvier, de fraude, d’abus de confiance et de blanchiment d’argent. L’enquête de la police israélienne, lancée en 2001, a mené à l’arrestation de sa fille ainsi que de six autres personnes au mois de janvier dernier.

Ancien ambassadeur américain en Égypte, puis en Israël de 2001 à 2005, Daniel Kurtzer affirmait la semaine dernière, lors d’une entrevue au quotidien Jerusalem Post, que la présence de Lieberman au sein d’un futur gouvernement pourrait ternir l’image d’Israël. Celui qui est aujourd’hui conseiller de Barack Obama en matière de politique étrangère a également affirmé que ses déclarations avaient déjà affaibli le soutien international au pays.

Les succès électoraux d’Avidgor Lieberman, qui habite une colonie juive de Cisjordanie, ne sont pourtant pas étrangers à la réalité israélienne. À cet effet, Alon Ben-Meir note une tendance lourde en Israël : «Les gains de la droite ne sont pas une surprise. On doit faire une rétrospective des trois dernières années. D’abord, il y a eu la guerre avec le Hezbollah en 2006, puis les événements de Gaza à la fin de 2008 et au début de 2009. Plus il y a de violence, plus les Israéliens vont vers la droite. Lorsque les relations avec les Palestiniens ou les pays voisins sont moins explosives, ils sont plus portés vers la gauche ou le centre.»

Inquiétude du côté palestinien
Les résultats de l’élection israélienne de la semaine dernière ont été accueillis avec scepticisme et inquiétude de la part des Palestiniens. Déjà sous le choc de l’offensive menée à Gaza qui a fait plus de 1300 morts au début du mois de janvier, plusieurs Palestiniens craignent que l’union de la droite ne vienne geler le processus de paix avec Israël, processus tournant déjà au ralenti. «Premièrement, pour les Palestiniens, il n’y a pas de différences entre chacun des groupes possibles. Ce que la majorité entrevoit, c’est que le processus de paix va s’arrêter», fait valoir le docteur Nabil Kukali, directeur du Centre palestinien pour l’opinion publique. «Je ne crois pas que les Palestiniens soient heureux des résultats. Je crois que Netanyahou et Liberman seront de la composition du prochain gouvernement. Je ne crois pas que Kadima sera à la tête du prochain gouvernement. Maintenant, la situation est difficile. On part de la gauche pour aller vers la droite. Ces partis [Likoud, Israël Beitenou] disent continuellement qu’ils ne sont pas prêts pour la paix avec les Palestiniens.»

Malgré tout, les quatre partis ayant recueilli le plus de sièges acceptent la solution de deux États vivants côte à côte comme étant la seule solution. Ce qui les différencie, c’est la façon d’y arriver en laquelle ils croient. Lieberman propose une redéfinition des frontières qui, notamment, expulserait des zones à forte concentration arabe en dehors de l’État hébreu. «Netanyahou croit que ça doit débuter par le développement économique et la sécurité. Tzipi Livni croit, pour sa part, que l’on doit tout faire en même temps, tout comme Ehud Barak. Ils ont l’opportunité de développer un consensus national sur des objectifs spécifiques, explique Alon Ben-Meir. Ou bien, ils peuvent prendre des chemins différents, où chacun pourra former une très mince majorité, mais qui sera poussée vers les extrêmes, d’un côté ou de l’autre, et qui ne durera peut-être pas 18 mois.»

Auteur / autrice

Consulter le magazine