Symbole par excellence d’une protestation populaire pro-occidentale en Ukraine, la statue de Lénine est mise à terre et rouée de coups par la population qui souhaite un rapprochement avec l’Europe.
Une foule immense, estimée à 300 000 personnes, occupe la mythique place Maïdan. La « place de l’Indépendance », au coeur de Kiev, n’est pas choisie au hasard : c’est là où a débuté la « révolution orange » en Ukraine. Le vaste mouvement populaire de 2004 en faveur de l’ouverture vers l’Ouest est encore frais dans les mémoires. Mais la place Maïdan célèbre aussi l’indépendance de l’Ukraine vis-à-vis de l’Union soviétique, obtenue en décembre 1991. C’est précisément cette indépendance que les Ukrainiens sentent menacée, au moment où le président Viktor Ianoukovitch plie sous les pressions de son puissant voisin russe.
Que connaît-on de l’Ukraine ? Pays à la forme irrégulière qui semble plonger dans la mer Noire, hôte de la tristement célèbre catastrophe nucléaire de Chernobyl, géant de l’industrie lourde… L’ancienne République socialiste soviétique, d’une superficie équivalente à la moitié de celle du Québec, compte quelques 45 millions de citoyens, soir plus de cinq fois et demie celle de notre province. L’Ukraine est aussi une nation jeune : le 8 décembre, elle a fêté ses 22 ans d’existence. Voilà qui est bien peu, compte tenu de l’histoire partagée avec la Russie, dont l’Ukraine a fait intégralement partie pendant environ 340 ans, dont 71 ans dans la dictature autoritaire de l’URSS. Une fusion qui a laissé des traces bien enracinées. Aujourd’hui, le pays est plus que jamais divisé sur le dilemme du rapprochement européen.
Les forces en présence
D’une part, une minorité russophone importante (17% de la population) est un appui politique de taille dans la politique ukrainienne en faveur du courant politique pro-russe. Normal, pour deux pays qui ont partagé aussi longtemps leurs destins. Mais tout ne se résume pas à la simple lutte interne. S’ingérant allégrement dans les affaires ukrainiennes, la Russie semble n’avoir jamais digéré le départ de son ex-concubine. La situation économique difficile que vit actuellement l’Ukraine semble confirmer cette relation malsaine de domination. Acculé au pied du mur, le pays est forcé de demeurer dans les bonnes grâces de son voisin, qui constitue la destination de 30% de ses exportations. Un partenaire vicieux, qui ose utiliser tous les moyens dont il dispose pour mettre au pas les pays de son cercle d’influence, et en particulier la carte économique. Dans ses relations envers les autres ex-Républiques socialistes du temps de l’Union soviétique, la Russie distribue gaz et pétrole au gré de la docilité de ses partenaires. Même si l’Ukraine a troqué les Roubles pour les Hryvnia, c’est toujours Moscou, et non Kiev, qui semble tirer les ficelles de son économie.
Mais si l’économie est un levier de domination, c’est aussi par l’économie que l’Ukraine tente de s’émanciper. Géographiquement proche de l’Union européenne (UE), le pays entretient un « rêve européen » qui n’est pas sans agacer Moscou: faire partie de cette grande famille européenne, où l’intégration économique lui permettrait enfin de s’affranchir de ses lourds voisins. En 2004, une « révolution orange » avait apporté au pouvoir un gouvernement en faveur du rapprochement avec l’Europe… et de l’éloignement de la Russie. Discuter d’une adhésion à l’UE ne s’est toutefois pas fait sans heurts : en août, en pleine période de négociations avec Bruxelles, l’Ukraine a vu toutes importations bloquées par la Russie. Des représailles présentées comme un avertissement : la Russie a le pouvoir de détruire l’économie ukrainienne. Une menace qui a été bien entendue à Kiev, qui fait un pas à reculons, éloignant le projet de rejoindre l’union économique et monétaire. Se faisant, le président Viktor Ianoukovitch a semblé renier ses engagements le 21 novembre dernier, en suspendant les discussions sur l’accord d’association entre l’Ukraine et l’UE.
Une mobilisation qui prend de l’ampleur
« L’Ukraine est un pays en voie de démocratisation. Ils construisent leurs institutions, combattent une corruption endémique. » Daniel Caron, ancien diplomate canadien en Ukraine, se rappelle de son passage dans ce pays où le respect des droits humains n’est pas assuré par les institutions qui datent de l’ère soviétique. « Les Ukrainiens veulent un pays normal, et on [le Canada] essaie de les appuyer là dedans. » 22 ans après son indépendance, la véritable souveraineté politique de l’Ukraine n’a jamais semblé aussi compromise. Un constat qui effraie la société civile ukrainienne, qui semble aujourd’hui mobilisée contre son gouvernement et l’ingérence russe, mais aussi contre la détention de l’ex-première ministre Ioulia Timochenko, icône de la révolution orange pro-occidentale. La protestation a ainsi pris une ampleur grandissante en décembre. Le 1er du mois, la mairie de Kiev a été occupée par les manifestants. Jeudi, les autorités leur ont donné un ultimatum : les protestataires ont jusqu’à lundi au soir pour quitter le bâtiment. Une situation extrêmement tendue qui pourrait donner un ton encore plus dramatique aux confrontations entre policiers et manifestants à Kiev. Au moment de mettre sous presse, la mairie était toujours occupée. Autre symbole fort du passé soviétique, la statue du leader communiste Lénine a été renversée par « des individus masqués », selon la police.