Finissante à la maîtrise en journalisme international à l’Université Laval en 2014, Ruby Irene Pratka revient d’une mission de neuf semaines à bord de l’Aquarius, un navire affrété par de nombreux organismes européens pour recueillir les migrants traversant la mer Méditerranée. Une expérience hors du commun qui a réellement changé sa vision du monde.
La jeune journaliste indépendante estime qu’une parcelle de la crise migratoire est présentée à la population mondiale. La réalité est toute autre, selon elle.
« Le phénomène, c’est maintenant que ça se passe. Il y a des bateaux gonflables que l’on retrouverait au Canadian Tire qui transportent quotidiennement des centaines de personnes en quête d’une meilleure vie. La réalité, c’est que 4000 personnes sont mortes jusqu’à maintenant en 2016, ajoute-t-elle. C’est plus d’une personne sur cent qui meurt en chemin. »
Entre le 26 février et le 16 novembre, l’Aquarius est venu en aide à 7967 personnes dont 26 % étaient mineures. De ce nombre, 90 % sont isolées, c’est-à-dire non accompagnées d’un adulte. La plupart de ces jeunes sont les aînés de leur famille. Ils quittent leur pays afin d’étudier. Malheureusement, cela s’en résulte souvent autrement.
« C’est triste de constater qu’à cause des circonstances dans lesquelles ils sont nés, ils vont devoir contourner plus d’obstacles que nous pour avoir les mêmes droits », soutient-elle.
Naïveté face au danger
Lorsqu’ils quittent leur pays, les migrants n’ont aucune idée de ce qui les attend, explique Ruby Irene Patka. Ceux-ci fuient la guerre, la dictature, l’anarchie ou encore des situations financières non enviables dans leur pays. La plupart d’entre eux, ne voulant pas aller en Europe, se rendent au Moyen-Orient, où ils se voient maltraités. Ce n’est donc pas par choix que les migrants traversent la mer Méditerranée.
Leur manque de connaissance de cette région les rattrape au pas de course et c’est là que l’Aquarius vient leur porter secours. « Ils ne connaissent pas la mer, la capacité de leur bateau. Les bandits leur disent que ça va leur prendre environ six heures pour traverser la mer. En réalité, ça nous prend 40 heures. Je ne peux pas imaginer comment ça leur en prendrait, s’ils se rendaient », a-t-elle raconté dans une conférence publique organisée par la Chaire en développement international.
Rôle de porte-parole
Ruby cherchait depuis deux ans à porter concrètement assistance aux rescapés. C’est donc avec enthousiasme qu’elle a transmis sa candidature à l’association SOS Méditerranée afin de devenir chargée de communication à bord de l’Aquarius. Son rôle : discuter avec les migrants et faire connaître leur histoire.
Ce qui désolait le plus la jeune femme, c’est que les médias ne l’appelaient qu’en cas de moments tragiques ou encore pour critiquer leur présence, de plus en plus accrue, en sol européen.
« Quand tu parles avec les gens, tu réalises qu’ils ont tous des histoires à raconter. Tu ne les considères plus comme quelqu’un qui vole un emploi, comme un poids pour la société. Ça devient des amis. On chante ensemble, on danse, on regarde les dauphins. C’est un peu comme une grande famille », illustre-t-elle.
Ce que ça change dans une vie? Elle répond spontanément que ça remet tout en perspective. « Ça te donne une idée de comment la majorité des gens sur la planète vivent. C’est une belle démonstration de la solidarité entre humains. »
Des moments plus difficiles, elle en a vécus. Elle relate, entre autres, un moment où l’équipe de l’Aquarius a cherché pendant près de huit heures un groupe de migrants perdus dans la mer Méditerranée avant de le retrouver. « C’était le moment le plus émotif que j’ai vécu. Il est 11 h et il n’y a aucune trace du groupe. Il n’y a aucune lumière et on se demande si on va les retrouver », dit-elle.
Enrayer le problème
Bien qu’elle estime qu’il est primordial de porter assistance aux migrants en mer, Ruby Irene Pratka croit qu’il est nécessaire d’éliminer le problème à sa source. « Cela ne s’arrêtera pas tant que les décideurs politiques n’auront pas fait les bons choix. Tout le monde essaie de porter secours, mais ce n’est pas assez. Il fait se pencher sur les réels problèmes, ceux qui font fuir les migrants de leur pays », livre-t-elle.
Est-ce qu’elle retournerait à bord de l’Aquarius? Sans aucune hésitation. « S’ils me rappellent, j’y retourne. » À croire que l’expérience, bien qu’elle soit difficile, mentalement et physiquement, soit assez valorisante.