L’imagination, l’insouciance, la fougue, la beauté et l’absence de responsabilité : tant de choses qu’on envie à la jeunesse. Comme la plupart des enfants, j’ai grandi en me faisant dire d’en profiter, que j’avais tort d’avoir hâte à la majorité, que je passais à côté des moments les plus merveilleux de ma vie, obnubilée par l’avenir et ce que je me promettais d’accomplir une fois grande. Je n’ai jamais manqué de réponse à la question : « Que veux-tu faire plus tard? » Mon problème était l’inverse : j’avais trop de projets. Trop de possibilités s’étalaient devant moi.
Par Jessica Dufour, journaliste multimédia
J’ai d’ailleurs longtemps été coincée dans cette attente que tout m’arrive naturellement. J’étais une indécise chronique, ma passivité renforcée par l’idée de la destinée. Je vivais dans le rêve d’accomplir de grandes choses, me visualisais devenir écrivaine, actrice, chanteuse ou danseuse professionnelle, avoir une carrière florissante, être riche et célèbre, rien de moins! Aucune surprise : on passe à peu près tous.tes par ces rêves de grandeur. Mais je n’avais pas les moyens de mes ambitions, parce que je ne les prenais pas.
Avec le temps, je me suis redirigée vers des projets plus réalisables, à plus petite échelle : vivre à la campagne, avoir cinq chiens, publier un livre, être à l’aise financièrement. Bon. C’est potentiellement une autre utopie, puisque visiblement, ce n’est pas par la vente de livres que j’arriverai à atteindre la sécurité financière. Mais au moins, je suis lucide et je travaille en ce sens. L’important, c’est que mes objectifs puissent entraîner des actions concrètes, orienter mes pas. Au lieu d’errer devant la multitude des sentiers disponibles, en va-et-vient, en détours, j’essaie de me concentrer sur ce que je peux faire là et maintenant, une étape à la fois.
Comme principal modèle féminin, j’ai eu une femme terrorisée par le fait de vieillir, en déni total de son âge, obsédée par son apparence physique. Exposée tous les jours à cette peur viscérale, incontrôlable, j’aurais dû la développer, mais elle ne m’a pas impressionnée, au contraire. J’ai grandi dans la hâte d’atteindre la maturité. Et au seuil de la trentaine, j’en suis toujours en quête.
Pour moi, vieillesse n’est pas synonyme de décrépitude. Elle donne l’occasion de fleurir. Le temps et l’expérience nous apprennent sur nous-mêmes. On ne se découvre réellement qu’après des années d’essais-erreurs. Et certains n’atteindront jamais leur plein potentiel, inconscients de leur valeur ou morts trop tôt.
L’enfance, elle, est contraignante. On dépend – parfois cruellement – des adultes pour survivre et lorsqu’ils ne savent pas nous donner ce dont on a besoin pour se développer au meilleur de nos capacités, rien d’étonnant à ce qu’on ait hâte de vieillir, de pouvoir décider pour et par nous-mêmes.
La majorité, c’est l’émancipation, la découverte du monde et l’affirmation de soi. C’est la liberté, la voie qui s’ouvre sur des contrées inexplorées, sur autre chose que les bottes de nos parents qui foulaient le sol avant nous, décidant toujours de la direction à emprunter. Chaque année qui s’ajoute est un bagage de plus sur l’épaule, un acquis, un souvenir.
Vieillir, c’est évoluer. Et comme les cernes de l’arbre témoignent de son ancienneté, j’arborerai fièrement chaque nouvelle ridule, varice, cheveux blanc ou poignée d’amour, parce que mon corps n’a pas à subir le passage du temps comme une épreuve, à ployer sous le poids des années. Je n’utiliserai pas de filtre sur mes photos de profil, je ne me maquillerai pas. Je ne mentirai pas sur mon âge. Je refuse de vivre dans la haine et la peur de l’inévitable, de contribuer à cette vision romantique de la jeunesse. J’accueillerai chaque décennie avec gratitude, dans l’affection des souvenirs, mais surtout dans la hâte des projets à venir.
Jessica, 29 ans