Dis merci, récit écrit en vers et paru aux éditions Ta Mère le 9 septembre dernier, est le premier livre de Camille Paré-Poirier. L’autrice, qui reçoit à douze ans un diagnostic de tumeur à la moelle épinière, raconte son adolescence dans les hôpitaux : elle n’hésite pas à détailler les conséquences physiques et psychologiques de ces stigmates sur sa vie de jeune adulte. Il s’agit avant tout d’une œuvre sérieuse que l’on doit considérer comme telle: ce n’est pas indemne qu’on referme ce livre, mais on sort de notre lecture avec le goût de l’empathie pour une jeunesse dérobée par l’injustice.
Par William Pépin, chef de pupitre aux arts
Au-delà de ce qu’écrit Camille Paré-Poirier dans ces pages, il est intéressant de s’attarder à ce qu’elle véhicule en sourdine : derrière la succession des courts vers qui s’accumulent au compte-goutte, non sans créer un rythme froidement télégraphique qui va en adéquation avec la souffrance de l’adolescente, une peine gît, comme en dormance. Derrière la sobriété des mots, qui suffisent à comprendre tout le drame de l’adolescente, réside le malaise d’une enfance déjà derrière soi et dont l’adulte en devenir paiera rétroactivement les frais.
tu marches avec une canne/respirer fait mal/c’est à croire/qu’on remplit tes veines/d’un ciment/qui se solidifie lentement
Dis merci, c’est d’abord une lettre adressée de Camille à Camille, de l’adulte à l’adolescente. Au fil des pages s’installe l’urgence de donner du sens à l’absurdité d’une jeunesse marquée par la mort, qui guette au fond d’une chambre d’hôpital. Une fraîcheur se dégage toutefois du texte : ce n’est pas une fraîcheur qui rime avec légèreté, mais avec sincérité. On peut y voir un alliage efficace entre la souffrance de l’autrice et son style qui, sans tomber dans le piège facile du pathos, présente une nouvelle vision de ce que peut être l’adolescence, où les parcours initiatiques de chacun.e ne sont pas toujours les mêmes.
la science t’avale de travers/comme un bonbon dur/tu te sens descendre le long de son dos
L’un des thèmes les plus intéressants du récit est celui de la mère. Cette mère, qui accompagne sa fille tout au long de sa maladie et veille au grain sur son état de santé, nous donne à voir une relation parent-enfant plus complexe qu’elle n’y paraît : ce ne sont pas toujours les parents qui sont amenés à rassurer leur enfant, à les protéger des mauvaises nouvelles et de la dureté du monde. Dans le cas de Camille, la maladie lui impose le fardeau d’inverser les rôles, d’être celle qui doit rassurer, celle qui doit cacher sa douleur pour ne pas accentuer l’inquiétude déjà forte autour d’elle. Ici, la toute-puissance d’une mère croise le fer avec la maladie d’un enfant et l’injustice de la mort. Une beauté s’en dégage malgré tout.
et maman/maman qui a pris tous les rôles/infirmière/chirurgienne/fée des dents/esthéticienne/psychologue/ventriloque/pusher/punching bag/sœur/cette maman toute-puissante/autant de cordons ombilicaux/de nœuds de marin
En sous-texte, Camille Paré-Poirier pose une question terrible : comment ne pas éprouver un sentiment de désuétude lorsque l’on sort d’une expérience traumatisante marquant tout un pan de notre adolescence et qui nous fait sentir en inadéquation avec les autres ? À mon sens, avec cette problématique en apparence indénouable, l’autrice touche du doigt ce qu’est la survivance : c’est-à-dire ce qui continue d’exister, malgré tout.
Camille Paré-Poirier, Les Éditions de Ta Mère, Montréal, 2021, 183 pages