On sait que depuis l’arrivée d’Internet, l’industrie de la pornographie a maintenant une plate-forme de diffusion sans pareil. Cependant, l’industrie et le phénomène pornographique remontent à beaucoup plus loin qu’on pense.
Par Marc-Antoine Auger, journaliste collaborateur
Les stag films
J’ai envie d’y aller d’une brève introduction sur les stag films, des films qui existaient à une époque aussi loin que l’Allemagne de l’entre-deux-guerres. Ces films montrant de la nudité, des scènes particulièrement explicites pour l’époque étaient évidemment destiné à un public masculin. C’était des productions amateures en noir et blanc d’environ 12 minutes. Des lois de censure présentes à l’époque en Allemagne empêchaient l’État de financer et diffuser ce genre de film, ce qui fait qu’on pouvait seulement voir ces films dans les bordels, le but de ces films étant d’émoustiller les hommes pendant qu’ils attendaient. Une petite anecdote personnelle: j’ai découvert l’existence de ces films dans un cours que j’ai eu à l’université qui s’appelle Cinéma et sexualité. Pendant que j’écoutais l’un de ses films avec une soixantaine d’autres étudiant.es et une professeure un peu pince-sans-rire à 8h30 le matin, je me suis dit que la situation était un peu surréaliste!
Le Code Hays
Petite mise en contexte, aux États-Unis de 1934 à 1968, il existait un code de censure au sein de l’industrie hollywoodienne de cinéma qui s’appelle le Code Hays. Cette restriction auquelle les réalisateurs/réalisatrices et les producteurs/productrices devaient se plier interdisait, par exemple, la nudité, la violence trop exagérée et le langage vulgaire (vous voyez le genre). Sous ce règlement, certaines productions indépendantes refusaient de se plier à celui-ci, je pense, entre autres au classique Night of the Living Dead, sorti en octobre 1968, quelques semaines avant l’abolition du Code Hays. Il y a aussi le réalisateur Herschell Gordon Lewis qu’on a surnommé « The Godfather of Gore ». Lewis qui a réalisé ses premiers films dans les années 60 est derrière un tas de films tous plus gores les uns que les autres. Lorsque le code fut aboli en 1968, la table était mise pour tout un tas de réalisations qui avaient un petit goût de «pas permis » !
Deep Throat
Ne me prêtez pas d’intention, cet intertitre fait référence à un film sorti aux États-Unis en 1972 réalisé par Gerard Damiano. Deep Throat est un film à l’intrigue sophistiquée -bonjour l’ironie- qui raconte l’histoire de Linda Lovelace (Linda Boreman), une femme frustrée sexuellement qui découvre, grâce à un médecin (Harry Reems), que son point G est dans le fond de sa gorge -je vous laisse deviner comment ils l’ont découvert-. Le succès de ce film est indéniable. Pour un maigre budget de 47 500 $, il a rapporté au box-office plus de 30 millions $. On peut expliquer son succès par quelques raisons : la « nouvelle » liberté possible pour l’industrie et le contexte social de l’époque qui s’y prêtait bien avec la révolution sexuelle, les hippies etc.
Plusieurs grandes célébrités de l’époque ont avoué avoir vu le film, comme les réalisateurs.trices Martin Scorsese et Brian De Palma, l’acteur Jack Nicholson, l’écrivain Truman Capote, le critique Roger Ebert, l’animateur de télévision Johnny Carson, et le chanteur Frank Sinatra, pour ne nommer qu’eux.
Les réactions opposées
Selon moi, une des raisons qui explique le succès du film, c’est la réaction qu’a eue le gouvernement de l’époque. Le gouvernement en place chez nos voisins du Sud était celui de Richard Nixon, et en voyant la réaction favorable au film de la part du public, la Maison Blanche a décidé de poursuivre en justice Harry Reems, l’acteur principal du film, pour atteinte aux bonnes mœurs, ni plus ni moins. C’était la première fois de l’histoire des États-Unis qu’un individu risquait la prison pour avoir participé à une œuvre. Certains débattront de la valeur artistique de Deep Throat, mais, ne l’oublions pas, nous parlons tout de même d’un film. La réaction face au long métrage n’a pas été que positive il faut le dire alors qu’un mouvement féministe a lutté contre l’existence de ce type de film. Les protestantes comptait d’ailleurs sur Linda Boreman comme principale alliée, l’actrice principale du film Deep Throat. Ça donne une idée claire de l’effet qu’a eu ce film après sa sortie.
Le procès que subissait Harry Reems était si politique à un certain point que, si les démocrates remportaient l’élection suivante, Reems serait acquitté. À l’inverse, si les républicains l’emportaient, il serait jugé coupable, c’était à couteaux tirés comme ça. Lorsque le scandale du Watergate a éclaté quelque temps après le début de son procès, Reems a pu respirer un peu. Le film est sorti en juin 1972, et le Watergate a forcé la démission de Nixon en août 1974. Ce scandale a été révélé par deux journalistes, Bob Woodward et Carl Bernstein qui travaillaient pour le Washington Post. Ces deux-là avaient un informateur anonyme qu’ils ont surnommé Deep Throat. Bien des années plus tard, on a appris que l’informateur à l’origine de ces fuites était un haut cadre du FBI du nom de William Mark Felt.
La diffusion du film
Lorsqu’un gouvernement dit à sa population de ne pas voir un film, le peuple va généralement se battre pour le voir, et c’est exactement ce qui est arrivé avec Deep Throat. Dans les années 70, un peu partout aux États-Unis, les cinémas XXX étaient monnaie courante. Les propriétaires de ces cinémas étaient souvent reliés à la mafia, et ils avaient le beau jeu dans ce contexte et pouvaient profiter de la réception du film pour mousser le revenu de leurs affaires criminelles en achetant le film. Gerard Damiano avait auparavant signé une décharge de 25 000 $ comme quoi le restant de ses propres recettes du film ne lui revenaient plus. On peut en apprendre plus sur les détails de la diffusion du film dans un documentaire sorti en 2005, Inside Deep Throat, un excellent documentaire je dois l’admettre.
La censure
Pour terminer, je tiens à rappeler que mon article se veut à la fois un article neutre, objectif et factuel sur un film qui a grandement bouleversé les États-Unis du début des années 70, mais également un plaidoyer contre la censure artistique. S’il y a bien une chose que l’histoire a prouvée, c’est que lorsqu’un gouvernement ou des institutions quelconques interdisent la production de certains genres de films, prétextant la protection des bonnes mœurs, certaines forces contraires s’y opposeront en y allant de productions artistiques «amatrices » et indépendantes. Quand on y pense, la censure est un paradoxe : la censure ne sert pas à bannir un interdit, c’est la censure qui crée l’interdit.